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30 septembre 2017 6 30 /09 /septembre /2017 15:18

 

 

J’arrive tout droit du Maine, d’un voyage de pêche à la mouche. Une toute récente passion que je me suis découverte. J’ai toujours été émerveillée par le mouvement poétique du fil qui danse à la surface des eaux, au fil du temps, suivant la musique des rivières et l’appel du vent qui le fait tournoyer. J’avais avec moi un coupe fil, un couteau – pas celui des amateurs, non non, mon bon vieux Rapala, ami fidèle, avec sa lame d’acier bien effilée – une pince, un rétracteur, une puise et beaucoup d’espoir. Évidemment, je m’étais munie des meilleures mouches en ville... Grey Ghost, Warden’s Worry, la Nine Twelve, rien de trop beau. Voilà, en gros, la mouche c’est mon nouveau trip. Comme certains courent les vide-greniers du dimanche ou d’autres encore s’abreuvent d’un Cahors, un vendredi soir...

 

J’avais demandé conseils à mon ami Stoney, Calhoun pour les intimes, c’est le meilleur guide de pêche à la mouche du Maine! Ça faisait des lustres qu’on ne s’était pas piqué un p’tit brin de jasette. Il faut dire qu’il lui est arrivé bien des histoires à Casco Bay, il y a cinq ans. On dit qu’il se serait fait frapper par la foudre, qu’il aurait passé dix-huit mois à l’hôpital, tout cela semble bien mystérieux et quand on le questionne il ne se souvient plus de rien. Tabula rasa, le grand vide psychique, la mémoire envolée, c’est un homme sans passé, sans famille et pourtant hanté par de vieux fantômes... Avec quelques visions au passage, un corps nu qui dérive dans le courant d’une rivière, la chevelure flottant à la surface. L’étrange impression que certaines personnes craignent qu’il se souvienne de certaines choses. Des sentiments de déjà-vu, ça le plonge dans des angoisses terribles. Il arrive à recréer des images photographiques de quelques événements, mais sans plus.

 

Et du jour au lendemain, son pote Lyle disparaît. Il accompagnait Green ce jour-là, un visiteur inconnu de Key Largo, pour une partie de pêche à la mouche et il n’est jamais rentré. Calhoun partira à sa recherche. J’oubliais de vous dire que depuis son arrivée dans le Maine, notre héros travaille à la boutique de pêche de Kate, une Indienne sublime, la plus jolie du coin, qui lui tient compagnie la nuit. Mon ami, vraiment, c’est un sacré personnage, du genre inoubliable! Flegmatique, bourru, sauvage, énigmatique et solitaire, un sarcastique de « vieux con misanthrope », comme dirait affectueusement Kate, mais à la fois sensible et indéchiffrable, ce qui lui procurent une aura mystérieuse et attachante. En lui rendant visite dans sa cabane au milieu de nulle part - j’avais dans l’idée de l’amener pêcher avec moi – je ne me doutais pas que je serais plongée dans une histoire macabre. Véritable course contre la montre au cœur de la forêt américaine, je découvre à mon ami des talents d’enquêteur qui me font douter de son passé.  

 

Un excellent livre signé Gallmeister, dont il me tarde de découvrir la suite, Casco Bay. Et un véritable coup de cœur pour la plume de William G. Tapply!

 

Dérive sanglante, j’ai froid dans le dos. Je me retrouve à pêcher sur un îlot désert et « hostile », des ossements de source inconnue gisent à mes pieds. Ce matin, on m’y a déposée. Et j’ai follement envie qu’on me sorte de là!

 

Et si tu venais mettre une mouche au bout de ma ligne? Je pourrais te parler de ma nouvelle passion...

 

Merci à mon kinG des marais de m’avoir fait découvrir ce roman! Je sais, c’était un cadeau pour Tom Tom, ton ami pêcheur, mais que veux-tu, je lui ai piqué. Pffffff mauvaise mère (mdrrrrr) ^^

Mais j'te rassure, il est maintenant entre ses mains... :P

 

L'avis du Bison dans son ancien Ranch, qui a déménagé ses poils et ses sabots sous d'autres poussières...

 

Et l'avis de From the Avenue et Aifelle 

13 juin 2017 2 13 /06 /juin /2017 22:57

 

 

« Je crois qu’il faut avoir perdu quelque chose pour en connaître la valeur »

 

Si vous avez envie de voyager dans le Wyoming, Lindsay vous fera sans doute une place à l’arrière de sa vieille Nash des années 50. Si vous êtes chanceux, vous occuperez le siège juste à côté, mais gardez-vous de lui parler, elle entreprend un voyage intérieur. Terminus Redding, Californie, où elle montera à bord du Cascade, un train à haute vitesse qui filera à travers les paysages de l’Ouest « barbouillés » de couleurs, entre Seattle, l’Idaho, le Montana – juste le temps d’apercevoir un troupeau de bisons qui broutent goulûment dans les grandes étendues de terres arides - et Gatchell, un trou perdu du Wyoming profond.

 

Lindsay est retourné vers ce village où Witt, son ex-mari, a vécu avec une autre en laissant tout tomber. Elle avait besoin de donner un sens à cette rupture en faisant revivre leur histoire. Du jour au lendemain, il avait disparu, même au boulot on le cherchait. Il faut dire qu'il en buvait un coup le Witt dans les dernières semaines, à croire qu'il distillait sa peine dans l'alcool. Quand il revenait de la cabane où il avait écrit quelques lignes destinées à un roman qui ne verrait jamais le jour, il s’enfilait plusieurs rasades de whisky. Il y a fort à parier qu’il s’agissait d’un Wyoming Whiskey. Ou d’un McCarthy’s Oregon, de toute façon, une fois qu’il s’en serait versé quelques-uns dans le gosier il ne ferait même plus la différence. Tiens, ça me rappelle une histoire de whisky, mais j’y viendrai plus tard...

 

Les rails défilent et Lindsay poursuit sa quête. Entre ses doigts les années se sont faufilées, sablier fuyant laissant sur son passage quelques grains de souvenirs, mais sans plus. À peine le temps d’en retenir l’essentiel. Sur le siège face à elle, un homme est plongé dans la lecture de « Voyage de nuit ». À son contact, les émotions se dénoueront et ses sens prendront vie. Il lui offrira un verre, un doigt de whisky (voilà, je l'adore celle-là...). « Un doigt d’abord », pour un voyage « first class » c’est réussi! Au deuxième verre ils feront l’amour. Quelques minutes volées au temps et aux pensées qui affluent en elle dans un tourbillon sans fin. Retour à la réalité. Flash back : amertume, colère, tristesse... Qu’était-il arrivé à Witt? Pourquoi ce trou perdu de Gatchell? À quoi pouvait bien ressembler cette Alex? Et que s’attend-t-elle à trouver là-bas?

 

Par la fenêtre, Lindsay jette un regard au loin. Il se heurte au rideau de blizzard (fu.. le blizzard!). Le temps s’est figé, ils devront s’arrêter. Terminus...

...mais le voyage commence à peine...

 

Une très belle plume que celle de Roy Parvin, portée par des émotions diverses qui nous happent en même temps qu’elles nous plongent tête première dans le voyage intérieur de ses personnages. Il aborde avec délicatesse le deuil, la tristesse, les souvenirs et la solitude. Les paysages sont rendus avec justesse, on les voit, les imagine, on les touche du bout des doigts et les effleure du regard. Ils nous donneraient envie de se fondre à ce décor de neige et d’étendues sauvages, là-même où un Bison sirote un whisky en attendant le prochain train... Merci Bison! ;-)

Fuck le blizzard! :P

 

La Petite-Fille de Menno est tirée du recueil de nouvelles La Fôret sous la neige...

4 avril 2017 2 04 /04 /avril /2017 00:07

 

 

« Le pire, dans l’enfance, c’est de ne pas savoir que les mauvais moments ont une fin, que le temps passe. Un instant terrible pour un enfant plane avec une sorte d’éternité, insoutenable. »

 

Rahhhhhhh je me suis encore fait avoir par David Vann!!! (sourire)

 

Pourtant, concernant ce roman j’avais lu quelques avis mitigés, que venaient confirmer un début de lecture un peu cahoteux. Comparativement à ses autres romans, j’ai eu du mal à entrer dans l’histoire avec la même fougue. Le rythme est lent. Il y a quelques longueurs jusqu’à la moitié du livre, même si je trouve l’idée absolument géniale d’associer le monde marin à l’âme humaine. Il faut dire que je m’attendais d’emblée à être submergée de plein fouet dans un univers tout ce qu’il y a de plus noir - cet univers unique auquel l’auteur m’avait habituée - de ressentir un malaise, une plongée en apnée, malsaine et violente, dans laquelle je me débattrais en eau trouble et qui me terroriserait juste assez pour passer quelques nuits blanches. J’exagère à peine. J’ai eu du mal à me remettre de son Sukkwan Island, que j’ai ADORÉ par ailleurs! Chemin faisant, l’histoire progresse, les nuances s’affinent de détails multiples, longue évolution vers des personnages qui s’intensifient et se précisent dans leur personnalité. Et là, sans qu’on ne le voit venir, c’est le point de rupture et tout bascule. JUBILATION! Je venais de retrouver David Vann dans toute sa « splendeur », explorant les limites de l’homme, cette immersion de l’autre côté du mur, Dark side of the moon, une noyade de la psyché sur des vagues d’émotions qui auscultent les dérives de la folie. Quel génie!

 

Caitlin, 12 ans, vit seule avec sa mère dans une vieille bicoque de Seattle. La peur au ventre de la perdre, elle fait des cauchemars. Chaque soir après l’école, elle se rend à l’aquarium et admire les poissons à travers l’épaisse vitre, lieu de recueillement et bulle de réconfort. Elle y rencontre un vieil homme, étrange personnage qui ressemble à un poisson-grenouille à trois-tâches, avec ses cheveux, ses vieilles mains usées. D’ailleurs, les hommes adoptent un peu les mêmes comportements que les poissons, pour peu qu’on prenne le temps de les observer. Enfouis sous la roche, à l’abri du monde marin, ils se protègent. Certains, comme l’hippocampe, ont l’avantage d’avoir une armure. Et nous, n’avons-nous pas cette même carapace nécessaire à notre survie? Ces mécanismes de défense qui nous isolent en plein cœur des eaux agitées. Leur aquarium est notre maison. Aux heures de remous intérieurs, des vagues à l’âme aux violences du spleen, on s’accroche. Vagues fragiles et dévastatrices. On se brise mais on survit.

 

Dans Aquarium, David Vann confronte le lecteur à certaines questions essentielles, voire existentielles. Qu’est-ce qui fait de l’homme un être humain? Quelle est la part d’héritage dans les séquelles d’amour? Sommes-nous perméables ou non aux traumatismes de l’enfance, et qu’est-ce qui fait que certains le sont plus que d’autres? Il explore également, avec une finesse incroyable, le manque sous toutes ses formes, l’absence, l’incapacité de revenir en arrière, la sécurité affective et le pardon. Les séquelles de la guerre et l’homosexualité. Enfin, la relation mère-fille est au cœur du roman, avec ses élans violents, ses culpabilisations, son dégoût, sa haine et sa rage. L’aquarium est un rempart efficace à la survie de l’âme, mais à tout moment, il pourrait se briser en mille éclats...

 

« Comment recolle-t-on les morceaux d’une famille ? »

 

Lire l'excellent billet de Guillome

 

Et celui de Fanny

 

Mes billets sur Sukkwan Island et Désolations

14 janvier 2017 6 14 /01 /janvier /2017 15:32

 

« Tant que je pourrai sortir dans le jardin et contempler les étoiles, je ne serai jamais malheureux. »

 

Il m’arrive souvent de nourrir le rêve de partir m’isoler sur une terre sauvage, dans un recoin de monde où la nature nous invite perpétuellement à s’abandonner à vivre. Il n’y aurait que le silence des lieux comme seule boussole, pour guider le chemin des hasards. Chaque rencontre serait source d’émerveillement ; la voix d’un mélèze solitaire, la luminescence d’une aurore, le hurlement du loup à la nuit tombée et même l’odeur du bois. Des heures, droit devant, pour écrire mes pensées et les coucher sur le papier de ma vie qui défile. Un regard furtif posé sur les années passées, non pas pour les regretter, mais pour mieux définir celles à venir. Oui, tout cela me serait suffisant pour avoir le sentiment d’avoir accompli ma vie.

 

Il n’y aurait que le silence des lieux comme seule boussole et seule quête possible...

 

« La lumière n’est rien s’il n’y a pas l’obscurité, tout autour, pour la définir. »

 

Rick Bass et sa femme Elizabeth ont rendu ce rêve possible en allant se terrer dans un Ranch des montagnes de la Yaak Valley, une vallée sauvage du Montana à quelques kilomètres de la frontière canadienne. L’appel d’un retour aux sources, la volonté de vivre d’essentiel. Aucune âme humaine à des kilomètres, à mille milles de toutes les terres habitées. Quelques amis pour briser la solitude, aux moments venus. Un Magasin général et le Dirty Shame Saloon pour abreuver le silence. Une terre d’abondance pour les orignaux, les cerfs, les loups, les ours, les grizzlys et toutes espèces animales qui arrivent à survivre en ces lieux. Ils furent grisés par la beauté de leur nouveau refuge. Ce qu’ils auront perdu en confort, ils l’auront gagné en liberté...

 

« Si le bonheur ne coûtait rien, ça ne vaudrait pas la peine de le posséder. »

 

Les premières neiges pointeront leur nez d’ici quelques semaines. On ressent bien à travers les mots de Rick Bass le mélange d’appréhension et d’adaptation auquel ils devront faire face. Il coupera du bois presque jour et nuit en vue de se faire une réserve pour passer l’hiver. Mélange également de curiosité fébrile, cette neige est attendue avec impatience, on le sent aussi excité qu’un enfant à la vue du premier flocon de novembre, les yeux pétillants et l’envie d’aller se rouler dans toute cette blancheur. Mais parfois aussi, les vents glacials de l’Alaska leur fouetteront le visage. Ils provoqueront la sensation de lacération sur la peau distendue.

 

« Tant pis s’il fait froid. La beauté en vaut la peine. »

 

L’humidité s’infiltrera à travers chaque interstice. Sans électricité – une seule radio à ondes courtes - les nuits seront noires et tomberont à moins 40. La voiture sera munie de sièges chauffants et de pneus d’hiver. Les tuyaux risqueront de geler et gare à vous si vous croisez Bigfoot dans les montagnes, il est sacrément plus gros qu’un grizzly en période de rut. Mais il faut s’être collé au moins une fois dans sa vie à ces lieux aux limites de la nature extrême, pour pouvoir se dire, en contrepartie, qu’il n’y a pas plus bel endroit au monde que le spectacle offert par ces forêts à perte de vue, ces lacs et glaciers, ces aurores boréales et le chant des étoiles...

 

« Je découvre, ici, des vérités sur moi-même. »

 

L’auteur, fondateur de l’Association de sauvegarde des forêts de la vallée du Yaak et écologiste américain, est visiblement préoccupé par la survie des forêts et la négligence de l’homme face à son environnement. Plusieurs passages du livre mettent en lumière sa conscience écologiste, notamment les opérations minières, les coupes à blanc et la surcombustion du bois de chauffage, sans oublier les espèces disparues.

 

Oui, il m’arrive souvent de nourrir le rêve de partir m’isoler sur une terre sauvage, dans un recoin de monde où la nature nous invite perpétuellement à s’abandonner à vivre. Il y aurait des forêts à perte de vue, des lacs et des glaciers et le chant des aurores. Le silence serait porteur de mille mots tendres. Puis, chemin faisant, j’irais danser sous les étoiles...

 

« Les bois peuvent être un peu étranges. Il faut longtemps pour avoir enfin l’impression d’être un homme des bois, mais ensuite, jamais plus on ne peut redevenir un homme des villes. » - Jim Harrison

 

Quel bonheur d'avoir partagé cette lecture avec manU, mon sweet bûcheron des marais :-*

 

 

 

12 janvier 2017 4 12 /01 /janvier /2017 18:05

 

 

« Tu es davantage un homme qu’ils ne le seront jamais. »

 

Louisiane, années 40. Les afro-américains vivent à l’époque culminante des pires discriminations raciales. Ce n’est qu’une quinzaine d’années plus tard que Martin Luther King abolira la législation à l’origine de la ségrégation du peuple Noir. Avec le Mouvement des droits civiques aux États-Unis, il visait l’égalité des droits pour les Noirs américains. Héros immortel et figure emblématique, le militant pacifiste s’est battu pour la justice et la liberté des hommes. Il fit exploser le mur de l’intolérance raciale.

 

Louisiane, année 40. Martin Luther King n’avait pas encore prononcé son discours, I have a dream today! Et Jefferson, notre héros, 21 ans, sera condamné à la chaise électrique. Les membres du jury, douze hommes blancs, en ont décidé ainsi. Le verdict a été rendu : coupable de meurtre avec préméditation, bien qu’aucune preuve n'a pu être administrée afin de l’incriminer. On le disait idiot et illettré. Mais Jefferson ne serait seulement pas arrivé à blesser un homme par ses mots, même en y mettant toute l’ardeur de sa rage. Il fut coupable d’être Noir, sans plus. Il devait aller dans le marais ce jour-là, mais s’était plutôt retrouvé avec Brother et Bear chez un marchand de vins. Un blanc fut tué. Deux voleurs sont morts et le troisième, notre héros, s’est fait prendre. Être à la mauvaise place, au mauvais moment. De ces hasards qui vous condamnent à mourir.

 

« Vous voyez, je vous l’avais dit. Je vous avais dit que c’était un homme. »

 

Lors de son procès, Jefferson est traité comme un porc, rien de moins qu’un animal à jeter aux ordures. Miss Emma, sa marraine, implorera Grant Wiggins, son professeur, d’en faire un homme. Il n’aura que quelques semaines pour l’accompagner, de ses visites en prison, et faire en sorte qu’il puisse mourir dignement. Mais peut-on se rendre digne de mourir? Devient-on un homme d’avoir gardé la tête haute? Comment peut-on seulement tenir sur ses jambes quand on longe ce long corridor étroit? Est-ce cela, mourir debout? À quoi peut penser un homme dans ses derniers jours? Quel est le poids de l’attente? Si vous saviez la charge émotive des questions qui m’ont traversé l’esprit en lisant ce roman. Je ne me fais aucune illusion. Je sais que jamais je n’aurais eu la force d’accompagner cet homme et de poser mes yeux dans son regard. Me sachant blanche et consciente des atrocités que mon peuple est en mesure de lui faire subir, ainsi qu’à des milliers de ses semblables. Comment aurais-je seulement pu me montrer à sa hauteur, ayant conscience que j’aurais faibli devant son courage?

 

Grant Wiggins, son professeur, était Noir. Il faisait la classe dans une église de plantation. Ses parents ont travaillé dans les champs au temps de l’esclavage. Si je vous mentionne ces détails, c’est pour vous dire qu’en dépit du fait qu’un homme soit issu des mêmes racines, il arrivera à faiblir devant ses semblables. Il se sentira sans doute même encore plus coupable et impuissant. La rage lui tenaillera les tripes et lui torturera l’âme. Parce qu’il prendra conscience que les hommes sont capable de tout, mais surtout d’intolérance. 

 

À mes yeux, il sera un Homme, un héros.

 

« Un héros agit pour les autres. Il ferait n’importe quoi pour les gens qu’il aime, parce qu’il sait que ça rendrait leurs vies meilleures. »

 

Un immense merci à toi Jérôme de m’avoir fait connaître ces hommes de courage. L'histoire de Jefferson m'a marquée au fer rouge. Je ne l'oublierai jamais.

 

L'avis de Fanny

 

*****************

 

 

Extrait du discours de Martin Luther King en 1963

 

« I have a dream that one day this nation will rise up and live out the true meaning of its creed: "We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal."

 

I have a dream that one day on the red hills of Georgia, the sons of former slaves and the sons of former slave owners will be able to sit down together at the table of brotherhood.

 

I have a dream that one day even the state of Mississippi, a state sweltering with the heat of injustice, sweltering with the heat of oppression, will be transformed into an oasis of freedom and justice.

 

I have a dream that my four little children will one day live in a nation where they will not be judged by the color of their skin but by the content of their character.

 

I have a dream today! »

 

 

 

9 août 2016 2 09 /08 /août /2016 21:57
Un autre monde - Barbara Kingsolver

« Il y a, en chacun de nous, un autre monde. La chose la plus importante est toujours celle que l’on ne connaît pas. » Barbara Kingsolver

 

Un jour qu’il débarque sur un quai d’Isla Pixol, au Mexique, Harrison William Shepherd achète son premier carnet d’écriture. Le deuxième cahier, déniché chez un marchand de tabac à 13 ans, sera retrouvé plusieurs années plus tard, en 1954. À l’image d’un roman, il a voulu se raconter, mettre en mots les souvenirs de son enfance et de sa vie d’adulte. Comme une façon pour un homme de laisser des traces de son existence. De se construire un monde, « Un autre monde ». Shepherd a erré toute sa vie à la recherche d’une famille, d’un lieu d’appartenance. Né en 1916 aux États-Unis et emmené au Mexique par sa mère mexicaine, l’homme en fuite se rend témoin de certains des grands événements qui ont marqué l’histoire.

 

Hernán Cortés découvre Tenochtitlan, le Mexico d’aujourd’hui, anciennement la capitale de l’empire aztèque, qu’il finit par conquérir après l’avoir saccagée, pillée et réduit les Indiens en esclavage. Quelques siècles plus tard, George Patton participe à l’ « Expédition Mexicaine », une opération militaire menée par les États-Unis dans le but de s’opposer aux forces paramilitaires de la Révolution Mexicaine de Pancho Villa. Pancho Villa! Le redoutable hors-la-loi mexicain, général de l’armée, celui qui dégaine aussi vite que je décampe quand je croise une tarentule dans la jungle du Mexique. Moi, à ta place, je garderais mon « gun » pas loin puis j’éviterais de voler le ver au fond de sa bouteille de mezcal. Ça pourrait le mettre de mauvaise humeur…    

 

Pour revenir à Shepherd, notre héros mi mexicain mi gringo, on l’a fait prisonnier avec sa mère à Isla Pixol, une île sur la côte est du Mexique - un peu comme le comte de Monte Cristo sur son île au large de Marseille. Tous deux retenus dans l’hacienda d’un certain Enrique, un homme dans le pétrole. Ils prennent la fuite alors que le petit a treize ans. Un jour, alors qu’il déambule dans un marché de Mexico, il aperçoit une reine aztèque, parée d’une longue jupe colorée et de boucles en or. Une bague à chaque doigt, dentelles et rubans, puis la grâce d’un corsage à volants Tehuana. Elle s’appelle Frida Kahlo. Shepherd travaillera d’abord pour Diego Rivera, en tant que plâtrier, puis sera cuisinier de la famille et traducteur.

 

À partir de ce moment, je n’ai plus été capable de lâcher ce roman! Retrouver la Maison Bleue de Coyoacan, c’est un peu comme sortir de mon igloo après des mois d’hibernation et me retrouver entourée de palmiers et de figuiers, d’oiseaux en cage et de fontaines, Frida avec son singe sur l’épaule – son animal de compagnie. C’est revivre la vie d’une femme fascinante, entre ses excentricités et ce tragique accident de tramway la clouant des jours entiers au lit dans des douleurs atroces et le verdict d’une incapacité d’avoir des enfants. C’est aussi tenir l’échafaud pendant que son muraliste de mari, Diego Rivera – communiste de surcroît – est en train de peindre le Palais National. Mais surtout, c’est redécouvrir la liaison secrète entre Frida et Trotski, le grand révolutionnaire russe.

 

« Les nouveaux travailleurs n’ont pas seulement besoin des fresques de votre mari, mais aussi de ce que vous offrez : beauté, vérité, passion. L’art véritable et la révolution se rejoignent sur les lèvres. » - Léon Trotski

 

Alors que Diego demanda au président russe de lui offrir l’asile politique sous sa garde – Trotski faisant face à plusieurs chefs d’accusation au procès de Moscou - le visiteur se la coulait douce avec la belle mexicaine. Avec sa femme Natalya, ils habitaient la Maison Bleue de Coyoacan. Des dizaines de gardes-du-corps armés encerclaient nuits et jours la maison, craignant les attaques des agents de la Guépéou de Staline. Le père de la Révolution d’Octobre s’est vu exclu du Parti communiste soviétique et condamné à l’exil.    

 

Barbara Kingsolver nous offre un tableau à la fois historique et romancé des grands événements qui ont marqué le Mexique. Ni les détails, ni la fine documentation, ne manquent à son roman. Elle est, depuis toujours, l’une de mes écrivaines américaines favorites. Femme déterminée, militante à l’encontre du maccartisme, – clin d’œil au général Patton – militante pour la liberté des femmes et la justice sociale, biologiste, activiste écologique et romancière, vivant dans une fermes isolée des Appalaches, un rêve que je lui envie.    

 

Sur ces mots, je m’en retourne à ma hutte quelque part sur l’île de Montréal, qui n’a de mexicaine que la bouteille de mezcal, logée au fond d’un vieux buffet et rapporté de Tulum, pour recevoir mes invités. Sur ma minuscule terrasse de ville, je pars un feu pour la cuisson des tortillas. Les enfants coupent le bambou dans les marécages. Et je m’apprête à faire cuire des pattes de tarentules grillées, alors qu’un BISON, toujours aussi peu disposé à « y mettre du sien », se la coule douce avec la même ferveur qu’il met à vider sa bouteille de mezcal, le ver y compris. L’instant d’une rêverie et il s’est pris pour Pancho Villa… 

Un autre monde - Barbara Kingsolver
Un autre monde - Barbara Kingsolver
24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 18:27
Des mensonges dans nos têtes - Robin Talley

« Les mots de l’homme sont pires qu’une gifle »

 

1959, en Virginie.

 

Je m’appelle Sarah Dunbar, j’ai 18 ans et je suis Noire. Si je vous le dis, c’est que dans mon histoire ce tout petit détail prend toute son importance. En septembre dernier, avec ma sœur Ruth et quelques élèves Noirs, nous avons intégré le Lycée Jefferson, un collège de Blancs. Le juge fédéral a émis son verdict, nous sommes les premiers Noirs du comté de Davisburg admis dans l’enceinte d’une école blanche. Au premier jour, nous n’avions même pas encore franchi la grande porte que les insultes fusaient dans tous les sens. Ici, nous n’étions pas les bienvenus, nous n’étions qu’une bande de « sales négros ». On nous a jeté des pierres, craché en pleine figure, balancé des coups de pieds, des coups de bâton, on s’est même fait agresser dans les couloirs. On s’est fait traiter d’agitateurs, d’intégrationnistes, on nous a violenté et regardé avec dédain, comme si le noir de notre peau était sale et contagieux. L’autre jour, mon ami Chuck s’est tellement fait tabasser qu’il s’est retrouvé à l’hôpital, entre la vie et la mort. À tous ceux qui croient que les Noirs sont inférieurs, j’aurais envie d’hurler que l’ignorance et le mépris de l’autre sont des actes bien plus faibles, qu’ils témoignent de la peur de reconnaître une richesse dans les différences… 

 

« Tous les hommes sont créés égaux » - Thomas Jefferson

 

Mais mon histoire ne s’arrête pas là, au contraire, je crois qu’elle est vraiment née le jour où j’ai rencontré Linda, une rousse aux yeux bleus, Blanche en l’occurrence. Son père est rédacteur en chef de la Gazette de Davisburg, un raciste ségrégationniste qui véhicule dans ses éditoriaux des messages haineux à l’encontre des Noirs. Et mon père travaille pour lui…

 

« Tout ce qui se passe, c’est la faute des Noirs »

 

« Les gens de couleur ne sont pas aussi intelligents »

 

« D’accord, je n’ai aucune envie de travailler pour un homme qui jette un verre à la poubelle parce qu’il croit que je l’ai touché, mais je ne pense pas que papa ait davantage envie de travailler pour un homme qui écrit des éditoriaux sur l’infériorité des Noirs. On n’a pas toujours le choix. »

 

Dans les premiers temps, je comprends Linda d’avoir été un peu hostile envers moi. J’ai réalisé qu’elle s’obligeait à ne pas contredire son père même si elle était en désaccord avec lui. C’est un homme violent, il l’a déjà battue pour n’avoir pas tenue les mêmes opinions que lui. Ce doit être terrible pour elle d’avoir chaque jour à affronter de l’intérieur ce discours ambivalent entre les mots de son père et la naissance de ses sentiments à mon égard. Au début, je la jugeais de ne pas s’assumer et de ne pas agir. Jusqu’au jour où elle a pris ma défense et s’est fait traiter de « lèche-nègres ».   

 

« J’essaie d’imaginer ce que ça doit être de réfléchir à quelque chose si fort qu’on finit par se rendre compte qu’on s’est trompé toute sa vie. De déclarer devant tous ceux que l’on connaît qu’on a changé d’avis. »

 

Avec le temps, les choses ont changées, nous avons cessé de nous cacher la réalité et choisi d’être nous-mêmes. Nous ne comprenions pas ce que nous « faisions de si mal ». Le blanc et le noir c’est qu’une couleur de peau, plutôt bien assortie je trouve. Et les sentiments que j’éprouve pour Linda portent les couleurs de l’amour.

 

Je m’appelle Sarah Dunbar, j’ai 18 ans et je suis Noire. Je suis même la première Noire diplômée de Jefferson. J’ai la fierté de reconnaître le courage que j’ai eu d’assumer mes choix et d’affronter la tête haute le regard des autres.

 

Robin Talley signe ici, avec son premier roman, un hommage émouvant aux précurseurs de toute une génération de jeunes qui ont eu la force de s’être battus au nom de leur dignité. Ils sont à mes yeux des héros…

 

Des mensonges dans nos têtes, une envie de vivre librement sa vie.

 

« Nous nous punissons nous-mêmes pour des fautes qui n’existent que dans notre tête et nous finissons par nous convaincre que ce que nous faisons est mal. Voilà dix-huit ans que je crois ce que les autres me disent sur le bien et le mal. À partir de maintenant, c’est moi qui décide. »

 

Un IMMENSE coup de coeur dont je dois la découverte à mon sweet manU! 

Merciiii! :-*

Des mensonges dans nos têtes - Robin Talley
Des mensonges dans nos têtes - Robin Talley
24 novembre 2015 2 24 /11 /novembre /2015 23:44
Désolations - David Vann

« On peut choisir ceux avec qui l’on va passer sa vie, mais on ne peut pas choisir ce qu’ils deviendront »

 

Et si on se construisait une cabane sur l’île de Caribou Island ?

 

On y verrait des terres sauvages à perte de vue, aucune âme humaine à des kilomètres à la ronde, après une longue descente en canoë dans les eaux troubles de l’Alaska. On affronterait chaque jour des rafales glaciales de vent et de poudreuse, des sentiers à baliser dont les tempêtes de neige auraient effacé  les traces de la veille. Le temps que les travaux de la cabane se terminent… se ter-mi-nent…….

 

Gary en avait rêvé de ce projet. Il s’était mis en tête de construire cette cabane à partir de rien. Elle serait son refuge, comme un reflet de l’homme, qui fait écho à une image de soi déformée à travers le prisme d’une nature désemparée. Elle serait sa tanière, son obsession, comme un grand mensonge sur lequel on s’appuie pour éviter de regarder en face ce monde qui nous échappe. Pour faire semblant que les choses vont beaucoup mieux ailleurs que chez soi…

 

Alors, tu viens avec moi sur Caribou Island ? Bon, ce ne sera peut-être pas si idyllique qu’on l’avait imaginé. Mais on sera ensemble et puis, qu’est-ce qu’on à perdre pour tenter de sauver notre couple déjà en péril?

 

« Ce qu’elle voulait, c’était qu’il s’allonge à ses côtés. Tous les deux sur la plage. Ils abandonneraient, lâcheraient la corde, laisseraient dériver le bateau au loin, oublieraient la cabane, oublieraient tout ce qui avait cloché au fil des ans, rentreraient chez eux, se réchaufferaient et recommenceraient de zéro. »

 

La cinquantaine avancée, Gary n’avait jamais su prendre soin de personne d’autre que de lui-même. Une vie entière à fuir et rêver, à se dire que sa vie aurait pu être autrement, ailleurs. Que des remises en questions et des regrets, des apitoiements, une quête constante de distractions pour meubler les heures. Mais l’égoïsme est-il un motif suffisant pour foutre en l’air la vie de ceux qui nous sont proches ? Pire encore, comment t’as fait Gary pour ne pas voir à quel point Irène était devenue amère, broyait du noir? Qu’elle ingurgitait du Tramadol pour soulager ses migraines comme on bouffe des Smarties? Tu ne voyais donc pas que chaque rondin qu’elle transportait chaque jour était aussi lourd sur ses épaules que le poids des années qui ravage à force de lutter? Tu étais bien trop obnubilé par ton projet de foutue cabane! Mais attends Gary, la vengeance est douce au cœur de l’indien…

 

David Vann a un don, celui de nous entraîner si habilement dans l’atmosphère suffocante de ses histoires qu’on en ressort le souffle court. C’est oppressant, c’est noir, c’est même à la rigueur insupportable par moments, mais il nous le rend avec une telle intelligence de cœur et de sentiments qu’il nous fait presqu’oublier jusqu’où les limites de l’âme humaine sont capables d’aller quand elles se trouvent en rupture avec la réalité. Aussi, je pense que l’oppression qu’on ressent en abordant ses romans - et qui en font sa force aussi - nous vient, au-delà de l’atmosphère dérangeante, de ses personnages plus vrais que nature qu’on ne voudrait pas imaginer aussi « malsains » - pour certains - et qui pourtant ne reflètent qu’une société en mal de vivre, avec ses individus en marge. L’auteur a lui-même eu à affronter de près, étant très jeune, le suicide de bon nombre de membres de sa famille, défi qui le rend forcément aujourd’hui sensible aux revers de la santé mentale.

 

Dans Désolations, tout comme dans Sukkwan Island, on retrouve des histoires de relations familiales dysfonctionnelles. Des histoires aussi de personnages asociaux, d’isolement, de solitude, de vide, de mal de vivre, de coups puissants et impardonnables. Et plus particulièrement dans celui-ci, de relations de couple et fraternelles conflictuelles, de tricheries, de rancoeurs, de méchancetés, de chantage et de coups bas. Une panoplie de sentiments aigres, que je vous conseille de lire en des temps joyeux…

 

Un immense coup de cœur !

 

« Le froid s’insinua entre ses vêtements malgré son allure rapide, alors il se mit à courir à petites foulées, ses bottes émettant un bruit sourd. Unique âme solitaire sur cette route, les étoiles et l’absence de lune. L’Alaska, une immensité imperturbable qui s’étendait sur des milliers de kilomètres dans toutes les directions. »

 

Les avis de manU, Bison, Eeguab, Claudia Lucia et From the Avenue

 

Si vous l’avez commenté, n’hésitez pas à me le dire, je me ferai un plaisir de rajouter votre billet!

Désolations - David Vann
18 mai 2015 1 18 /05 /mai /2015 14:03
Aucun homme ni dieu - William Giraldi

« À celui qui vit assez longtemps pour s’en rendre compte, le temps démontre qu’il n’est rien dans le monde des humains qui n’ait son équivalent dans la nature. La plupart des hommes sont mus par des appétits assez semblables à ceux des loups »

 

Ils sont là depuis un demi-milliard d’années, dans ce village reculé du Nord de l’Alaska, Keelut. Cette terre sauvage est la leur. Quand nous marchons dans leur sillage, au mieux, nous empruntons les pas de leurs ancêtres, au pire, nous violons un territoire sacré qu’aucun homme ni dieu n’aurait dû se permettre de franchir. En ce lieu hors du monde, les frontières entre l’homme et l’animal sont bouleversées. Le caprice des hommes, dans sa volonté de dominer la bête, a transgressé les règles. Il a ignoré l’un des besoins les plus fondamentaux : le droit à la liberté. Ils ont pollué les terres, traqué les bisons et les caribous, avant de chasser le loup et d’étendre fièrement leurs peaux comme des trophées au pied de leur foyer. Normalement, les loups auraient fuient les hommes. Mais cette fois, ces derniers sont allés beaucoup trop loin, sans respect de leur territoire. Instinctivement, ils ont sorti leurs griffes et leurs crocs et ils se sont vengés. Puis ils ont tué.

 

Russell Core, écrivain de nature writing et en quête d’un sujet, se lance vers le nord. Tout juste avant de recevoir la lettre de Medora Slone, il avait voulu en finir avec sa vie. Mais ce qu’il découvrit à Keelut brisa définitivement quelque chose en lui : « l’homme n’est chez lui ni dans la nature ni dans la civilisation, comme une aberration entre les deux ». Peut-on se sentir pleinement appartenir à un lieu qu’on a soi-même transgressé? Est-ce que l’appartenance relève de l’acceptation de l’autre à franchir son territoire ou est-ce qu’elle est issue uniquement de notre volonté d’en faire partie? Le fils de Medora Slone meurt et son corps disparait. Dans sa cabane au milieu de nulle part, elle a rompu les liens avec les humains, plongée dans un mutisme presque surnaturel et hypnotique. Qui des loups ou des dieux aura raison des hommes?

 

En cet endroit isolé, le froid vif est un manque aussi brûlant que la morsure du vent. Il ajoute à la solitude et la peur, là où les hommes se confondent avec les loups dans une soif de pouvoir et de vengeance. S’il m’a fallu tout ce temps avant d’arriver à vous parler de ce roman, c’est avant tout parce que je n’arrivais pas à décrire l’empreinte sensorielle qu’il avait laissée en moi. Il exige un moment de recul, comme pour mieux revenir d’un monde où nulle route ne mène, à la frontière de la nature sauvage. Cette histoire, je l’ai vécue de l’intérieur, une façon de rendre hommage ou mieux saisir de quoi étaient habités ses personnages. J’ai partagé avec les loups et les hommes ce village de neige et de silence. Il s’est insinué en moi, mystique et troublant, m’a collé à la peau et causé des engelures à l’âme. Il m’a fallu comprendre comment une mère pouvait en arriver à commettre l’irréparable. Mieux appréhender l’ordre de la faim et des éléments, le bien et le mal. Nous sommes nés pour vivre et non pour survivre. L’homme est le plus grand prédateur de l’homme. Et l’auteur nous le rappelle dignement dans son chef-d’œuvre. Aucun homme ni dieu ne dispose du pouvoir qu’il s’approprie…

 

À l’image de Sukkwan Island, ce roman est un grand voyage intérieur, cette quête de sens de laquelle on ne revient pas tout à fait indemne...

 

Merci manU de m’avoir fait découvrir ce « périple au fin fond de l’Alaska comme aux tréfonds de l’âme humaine »

 

Aussi les avis de la Comtesse, en passant par L'Avenue

 

« Nous redoutons le froid et les choses que nous ne comprenons pas. Mais, ce que nous redoutons plus que tout, ce sont les actes des plus inconscients d’entre nous »

 

Un grand coup de cœur… <3

Aucun homme ni dieu - William Giraldi
6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 01:40

Sukkwan Island

 

« Le monde était à l’origine un vaste champ et la Terre était plate. Les animaux de toutes espèces arpentaient cette prairie et n’avaient pas de noms, les grandes créatures mangeaient les petites et personne n’y voyait rien à redire. Puis l’homme est arrivé, il avançait courbé aux confins du monde, poilu, imbécile et faible, et il s’est multiplié, il est devenu si envahissant, si tordu et meurtrier à force d’attendre que la Terre s’est mise à se déformer. Ses extrémités se sont recourbées lentement, hommes, femmes et enfants luttaient pour rester sur la planète, s’agrippant à la fourrure du voisin et escaladant le dos des autres jusqu’à ce que l’humain se retrouve nu, frigorifié et assassin, suspendu aux limites du monde. »

 

*******

 

Comment fait-on pour se remettre d’une telle lecture?

 

Une chose est certaine, le paysage est à couper le souffle. Imaginez-le, quelques instants, en fermant les yeux. Une cabane en cèdre blottie dans un fjord au sud de l’Alaska. Un lieu sauvage en plein milieu de nulle part. Aucune âme qui vit à des km à la ronde. Après tout, c’est l’endroit idéal pour se camper dans la solitude d’un retour aux sources. Le décor rêvé dans lequel l’auteur a planté son histoire qui, elle, ne vous quittera jamais plus une fois le livre refermé…

 

Jim avait repéré ce coin de pays depuis un bon moment. Il s’était dit qu’en s’y installant durant un an avec Roy, son fils de 13 ans, ils pourraient apprendre à mieux se connaître. Quoi de mieux qu’une forêt vierge de toutes choses inutiles pour se retrouver, seuls à seuls. Roy s’était dit qu’il pouvait lui faire confiance. S’était-il même posé la question?

 

Au premier jour, son père s’était acharné à construire un abri pour le bois et un fumoir à poisson. C’est étrange, il avait semblé à Roy qu’il se retrouvait face à un modèle de père qu’il n’avait pas connu : fragile, dépressif, inaccessible... Pourquoi tous ces reproches et cette culpabilité? Ces confidences de grandes personnes sur ses infidélités et son mépris des femmes? Chaque jour, il s’enfonçait un peu plus profondément dans des pensées obscures qu’il était devenu impossible à son fils d’atteindre. Son discours était incohérent. Même que le soir, il pleurait dans des sanglots étouffés en se parlant à lui-même. Roy s’était dit qu’il pouvait lui faire confiance. Avait-il eu tort?

 

« Je ne sais pas pourquoi je suis devenue comme ça. Je me sens si mal. Ça va pendant la journée, mais ça me prend la nuit. Dans ces moments-là, je ne sais plus quoi faire. Je suis désolé, Roy. J’essaie de toutes mes forces. Je ne sais pas si je vais tenir le coup. »

 

Et Roy dans tout ça? Comment tenir le coup devant la fragilité d’un père censé rassurer son enfant? Tous ces doutes ont plongé son fils dans l’insécurité et la détresse. Roy s’était même mis à le craindre, le détester. Pouvait-il en être autrement? Il ressentait de la confusion, des choses qu’il n’arrivait pas à analyser. On aurait même dit que, ce jour-là, son père s’était jeté de la falaise. Roy s’était pourtant dit qu’il pouvait croire en lui…

 

« Je ne sais pas à quoi c’est dû, je ne me suis jamais senti à ma place nulle part.

Quelque chose me manquait, mais j’ai le sentiment qu’être ici avec toi va tout arranger. Tu vois ce que je veux dire? »

 

Je ne sais pas si le petit a compris. Peut-on comprendre le désespoir d’un père quand on a 13 ans et qu’on lui avait fait confiance? Je me retrouve à la fin de ce roman en me disant que David Vann a réussi un exploit hors du commun : arriver à décrire avec finesse une longue chute vers l’inévitable. J’hésite toujours à parler de folie parce qu’après tout, qui suis-je pour en juger? Une chose est certaine, un fils a accompagné son père pour le sauver et survivre à ses propres rêves. Il s’est senti désarmé devant sa douleur, parce qu’il ne la comprenait pas. Ils étaient partis pour apprendre à mieux se connaître et s’apprivoiser l’un l’autre. Au final, ce qu’ils ont découvert était plus terrifiant encore que tout ce que vous ne pourrez jamais imaginer… 

 

L’auteur avait le même âge que son personnage de Roy quand son propre père est mort, à 40 ans. Et j’ai eu le sentiment que son histoire était l’expression d’une souffrance personnelle. On aurait dit qu’il était allé puiser en lui juste ce qu’il lui fallait de force nécessaire pour accomplir ce roman. Au bout de 10 ans, je sens cet aboutissement comme un acte de courage. J’ai aimé la profondeur de ce livre, qui lui, n’est pas qu’une histoire d’horreur et de sang. Mais une grande histoire d’humanité…

 

T’avais raison manU, je m’en souviendrai longtemps! Merci de l’avoir fait parvenir jusqu’à moi, par-delà l’Atlantique ;-)

 

Pour le Bison, passionné de Nature Writing et de terres sauvages, ce roman a été un grand coup de cœur, un CHOC!   

 

Discorde Island ou la possibilité d’une île, l’avis d’Eeguab 

 

Venez lire l’entrevue de Guillome qui a rencontré David Vann! Le chanceux!!! C’est ICI

 

BDSI

 

Quel plaisir j’ai pris à lire la BD d’Ugo Bienvenu. Si vous voulez mettre une image sur les mots, et pour encore plus d’émotions…

 

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