Trop bon d’accompagner cette lecture en écoutant cette pièce musicale…
Trio Rubinstein-Heifetz-Feuermann pour piano, violon et violoncelle de Beethoven (1941)
Pfffffffff Quel coup de foudre!!!
La quête de Kafka m’a serré les tripes et fait en même temps un peu mal. Car ce roman est tellement humain, tellement criant de vérité. Tellement sensible que j’avais l’impression que les mots se détachaient des pages pour prendre vie en moi. J’ai su dès le début à quel point je serais prise d’affection pour l’ado en mal de vivre.
À 15 ans, n’ayant plus personne sur qui compter, Kafka fuit Tokyo et le cocon familial. Il partira à la recherche de lui-même. Il fuira le sol insécurisant qu’il a déjà foulé, taché par l’abandon. Il fuira aussi ses peurs et celles du monde inconnu dans lequel il pose difficilement les pieds. Comme beaucoup de jeunes, il croira qu’une fois libre, il sera délivré des chaînes qui emprisonnent sa soif de voler de ses propres ailes. Mais être libre a un prix. Qu’est-ce que cela signifie? L’amour lui fera découvrir qu’une fois que nous nous engageons affectivement, nous ne le sommes plus tout à fait. Et qu’après avoir traversé ce genre de tempête introspective, à cent lieux de nos repères, on n’est jamais plus le même. Ce que l’on cherche à fuir nous rattrape par notre destin. Par les coïncidences? Le hasard?
Kafka, comme beaucoup de jeunes, mène une existence centrée sur lui-même. Il s’efforce de devenir quelqu’un de bien, de contrôler ses peurs, tourmenté par ses pulsions sexuelles d’ado. Il apprend la vie, affronte la réalité et les fantômes du passé. Il prend conscience que le monde est un endroit violent, que la souffrance existe. Que les lâches détournent le regard de la réalité. Que la guerre se nourrit d’elle-même. Que la vie est faite d’adieux. Que l’humain est égoïste et jaloux, étroit d’esprit et intolérant, pourvu de sentiments négatifs. Qu’il faut cesser de se laisser dominer par les événements extérieurs. Et au fait, quel est le sens de la vie? À quoi servons-nous?
Ce roman est une leçon de vie. Kafka est maître dans l’art de poser un regard lucide sur le monde qui nous entoure. Sur les humains qui le composent. Il pointe du doigt cette société en changement, menée par le capitalisme, la révolution informatique, les multinationales… Il oppose le bien et le mal, l’espoir et le désespoir, le rire et la tristesse, le rêve et la réalité, la force et la fragilité, la confiance et la solitude. Au fait, c’est quoi le mal? Qui est en mesure de le dire? Qu’est-ce qu’on fait quand les intérêts des gens se contrarient? Il n’y a pas de réponses. Les réponses, on les cherche au fond de nous même…
Murakami nous pousse à réfléchir sur tant de choses. Sur le pouvoir de l’imagination et notre part de responsabilité dans le rêve. Sur le rapport au temps que l’on ne rattrape jamais. Sur la reconstruction de l’âme blessée, les changements qu’elle suscite en nous. Sur la force des souvenirs, qui nous attendrissent ou nous font pleurer. Sur cette part de nous, un peu diffuse, que nous tentons de nous réapproprier. Au fait, la mémoire est-elle indépendante de notre volonté? Et l’intelligence, qu’est-ce que ça signifie?
Ses personnages vont s’entrecouper, s’imbriquer les uns dans les autres, prenant parfois la voix de sa conscience, parfois celle de son imagination. C’est là que s’exprime, je trouve, la magie de l’auteur. Comment arrive-t-il à rendre si uniformément des personnages aussi complexes que différents? Avec des images aussi denses? Comme ce Nakata qui sait faire tomber des poissons du ciel et parler aux chats? Au fait, c’est quoi cette histoire d’amnésie collective lors d’un voyage scolaire, en pleine montagne? Un champignon ingurgité? Un gaz? Une hypnose? Ce sont des images propres au génie de l’auteur, qu’il nous amène à rechercher, comprendre et analyser.
Lire Murakami, c’est prendre le temps de découvrir un monde intérieur extrêmement complexe. C’est beau, c’est subtil, c’est sensuel, c’est fragile… Je suis conquise…
« Parfois, le destin ressemble à une tempête de sable, qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change son rythme elle aussi. C’est sans fin, cela se répète un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre, juste avant l’aube. Pourquoi? Parce que cette tempête n’est pas un phénomène venu d’ailleurs, sans aucun lien avec toi. Elle est toi-même, et rien d’autre. Elle vient de l’intérieur de toi. Alors, la seule chose que tu puisses faire, c’est pénétrer délibérément dedans, fermer les yeux et entrer, et la traverser pas à pas. Au cœur de cette tempête, il n’y a pas de soleil, il n’y a pas de lune, pas de repères dans l’espace ; par moments, même le temps n’existe plus. Il n’y a que du sable blanc et fin comme des os broyés qui tourbillonne haut dans le ciel. Voilà la tempête de sable que tu dois imaginer »
Pour lire la critique chez Dasola
Et plusieurs critiques de l’auteur du côté de chez Jean-Charles
En passant par le Ranch du Bison ICI et LÀ
Kafka sur le rivage (poème tiré du livre)
Tu es assis au bord du monde,
et moi dans un cratère éteint.
Debout dans l’ombre de la porte,
il y a des mots qui ont perdu leurs lettres.
La lune éclaire un lézard endormi,
de petits poissons tombent du ciel.
Derrière la fenêtre il y a des soldats
résolus à mourir.
Kafka est au bord de la mer
Assis sur un transat.
Il pense au pendule qui met le monde en mouvement.
Quand le cercle du cœur se referme,
l’ombre du Sphinx immobile se transforme en couteau
qui transperce les rêves.
Les doigts de la jeune noyée
cherchent la pierre de l’entrée.
Elle soulève le bord de sa robe d’azur
et regarde Kafka sur le rivage.