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19 août 2017 6 19 /08 /août /2017 00:13

 

 

« Sentant le sommeil le gagner, il reposa son livre. Il pensait aux nuits de Reykjavik, si étrangement limpides, si étrangement claires, si étrangement sombres et glaciales. »

 

Reykjavik, la capitale. Les nuits sont polaires et le soleil se pointe quatre heures par jour en période hivernale. C’est ma plus belle saison, celle des aurores, une poésie de couleurs miroitantes dans un ciel sans fin. Mon héros, Hannibal, vit dans la rue. Les nuits de grand froid, il trouve refuge dans une cave insalubre. Un matelas crasseux à même le sol, des bouteilles d’alcool, du Brennivin – la « mort noire » - et en cas de nécessité, une bonne vieille bouteille d’alcool isopropylique à 70%, celui qui nettoie les plaies. Plaies, ce mot chargé de sens... blessures à l’âme et lame de fond, une noyade dans les recoins noirs de la psyché. Les lieux empestent l’urine. Il a connu les engelures, les doigts ankylosés qui n’arrivent même plus à tenir la bouteille d’alcool, pas même à ressentir la morsure du gel. La détresse humaine ne se juge en rien, elle se panse dans le sourire et l’accueil que l’on offre à ces gens qui n’ont pas eu notre chance. Le soir où je passais lui rendre visite, partager avec lui son bout de carton et de rêves envolés, on venait de le retrouver mort dans un étang de Kringlumyri. Je me suis effondrée. Chienne de vie...  

 

Erlendur patrouille dans les nuits agitées de Reykjavik. Personnage intuitif et taciturne, il se sent oppressé par toutes manifestations de bonheur. C’est un passionné de lecture, de jazz et des poèmes de Gudmundsson. Il lui arrive de noyer sa solitude dans les bars de la capitale. L’acharnement de l’inspecteur à élucider ce meurtre, mais surtout la fascination qu’il manifeste face au destin de ce clochard, ne me le ramèneront jamais. Mais ils me prouvent que les hommes sont capables d’empathie et qu’ils arrivent à voir la force et le courage dans les blessures humaines, à comprendre les motivations d’une personne à se placer en retrait de la société. La solitude et le refus de toute assistance. Je crois qu’Hannibal l’interroge sur sa propre vie, son propre destin. Ces gens dans la rue nous ramènent à l’essentiel, aux valeurs qui se perdent et à la soif de vivre.    

 

Arnaldur Indriðason signe, avec ce roman noir, la première enquête de l’inspecteur Erlendur. Les recoins sombres de la capitale se confondent à la brûlure hivernale. Mélange doux-amer de lieux et d’espaces sauvages qui se heurtent à la conscience sociale des gens qui l’habitent. Au-delà du polar, j’ai surtout ressenti, dans ce très beau livre, la douleur et la nostalgie des hommes. Je crois qu’il est juste de l’appeler le point de rupture.    

 

En partageant un bout de trottoir avec Hannibal, je me sentais au milieu des vrais hommes. Dommage qu’il soit parti si vite, j’aurais eu tant de choses à apprendre de lui... 

 

Je dédie cette lecture à tous ces clochards qui m'apprennent la vie <3

 

Photo empruntée à Google image

9 avril 2017 7 09 /04 /avril /2017 22:14

 

 

J’ai lu Album d’un bout à l’autre, dans un grand souffle, l’âme emportée par les vents vifs de l’Islande, étourdie par tant de beauté. On traverse les étendues sauvages de ces pages comme on le ferait d’un album photos, d’une suite d’instantanés et de parcelles de vie captés sur le vif et chargés d’émotions.

 

Une jeune islandaise se remémore ses souvenirs d’enfance, tantôt pétillants, tantôt nostalgiques, toujours authentiques. Elle nous les livre avec spontanéité et naturel, des étoiles dans les yeux et débordante d’amour, d’une reconnaissance infinie pour cette Île qui l’a vu naître. Album est un battement de cœur, une aurore boréale, une danse du ciel en mille couleurs nostalgiques.

 

C’est une ferme de campagne et un champ de moutons, une grande étendue sauvage de lichens et de lave. Une grotte dans la montagne et des centaines de villages de pêcheurs. C’est un phare à l’appel des marins, un monastère, des tempêtes de neige, beaucoup de vent et du blizzard. Une eau de vie pour se garder au chaud. Des chevaux sur le flanc des falaises, un phoque sur un glacier et le galop des rennes. De jeunes filles aux longs cheveux blonds comme le soleil. Crayons gras, cubes de bois, jeux de mots et devinettes. Un rouleau de réglisse, des sucreries, des carrés de chocolat, l’art de croquer dans une pomme.

 

C’est une enfant espiègle et futée, remplit d’humour, qui a vécu de rêves et de désillusions, de peurs et d’éclats de rire. Jeune fille forte face aux remous de l’enfance. Confrontée à une mère que l’on qualifie de putain et lourde de ses confidences d’adulte. Devant s’adapter à une nouvelle famille, à la perte et l’insécurité. Son récit m’a touchée, c’est un vent de fraîcheur, de celui propre aux âmes épurées et saines. Un flot de superstitions et de commérages. Un voyage en Islande <3

 

C’est un superbe Album...

 

Merci Jérôme d’avoir fait voyager ce beau livre vers chez moi, je me suis régalée... :-*

 

**********************

 

Contourner les fumerolles, retenir son souffle

 

 

Vouloir vivre dans une maison au toit recouvert d'herbe

 

 

Tomber en amour avec les moutons...

 

 

 

Écouter le chant du cratère et de ses colonnes de basalte

 

 

Chevaux sauvages, vivre en toute liberté

 

 

Qu'importe le chemin, l'important est d'y arriver 

 

 

Marcher sur la lave, atteindre le volcan

 

 

Se rendre à bon port et vivre sa vie...

 

 

 

23 octobre 2016 7 23 /10 /octobre /2016 19:23

 

« Le silence est un refuge, il vous procure la paix. »

 

« Partir dans les montagnes par une nuit calme et sombre comme l’enfer pour y chercher la folie ou la félicité, c’est peut-être cela, vivre pour quelque chose. »

 

La tristesse des anges est un roman qui porte sur les mots. Ceux que l’on dit et ceux que l’on tait. Ceux qui enjolivent la vie et ceux qui la ternissent. Ceux portés par les vents les plus violents et qui nous reviennent. Gifle de regrets amers, ils écorchent au passage l’âme de nos blessures. Ils se heurtent à notre conscience, échappés de la page de notre histoire. Il y a ceux qui prennent de la force avec le temps, qui permettent de se souvenir. Les mots d’amour et mots d’humour, mots nostalgie ou mots solitude, les mots bavards et ceux avares, ceux qui se chantent et ceux qui se pleurent, mais aussi ceux qui se vivent.   

 

Et ceux qui nous tuent… Ce jour-là, Bardur, l’ami du gamin, avait oublié sa vareuse. Tout ça pour les vers d’un poème, Le Paradis perdu de Milton. La tempête s’était levée et la mer de l’Islande ne pardonne pas. Portant sur son dos le poème maudit, il fera la route jusqu’à la ferme de Kolbeinn, le vieux capitaine aveugle, pour le lui remettre. Il y trouvera le réconfort, les mots douceur et mots chaleur…

 

Ce roman porte sur les mots. Ou serait-ce les maux?

 

Jens, le postier de campagne, devra se rendre de la Rive de l’Hiver jusqu’aux Fjords de Dumbsfirdir pour atteindre Vik, au Nord-Ouest de l’Islande. Une expédition postale de plusieurs jours qu’il entreprendra avec le gamin sur des terres battues par le vent. Impossible de traverser ces fjords à la barque et d’enjamber seul les landes glacées. Cette tournée a coûté la vie à plusieurs postiers. Quand le canot a chaviré et que Jens est passé par-dessus bord, il y a presque laissé sa peau. Le gamin n’aurait pas supporté de voir son compagnon de route mourir. Il repense à Bardur. Alors, il n’y aura pas que les mots, il y aura aussi le froid.  

 

Le vent est violent et glacial, il hurle à la mort et coupe le souffle. Jens et le gamin errent d’une ferme à l’autre à travers la tempête. Enfoncés dans la neige jusqu’aux genoux, ils luttent pour ne pas mourir de froid. Il faudra parfois même s’enterrer bien profond dans la croûte pour survivre. Ils ont peine à se suivre et se perdent de vue plus d’une fois, aveuglés par le blizzard. La tentation de s’endormir est grande, on se laisse aller au sommeil sans jamais ne se réveiller. Cette femme qui semble leur indiquer un chemin, est-ce d’ailleurs un rêve ou une hallucination ? En Islande, j’ai appris plus que nulle part ailleurs le sens de l’expression « regarde où tu poses les pieds ». Le gamin ne s’est pas méfié, il est tombé dans le vide. Il n’y aura pas que les mots, ni seuls ceux d’Othello et de Shakespeare, mais ils auront eu une force inouïe sur la survie des hommes.

 

« … avec ces histoires, ces lambeaux de poèmes et de rêves depuis longtemps éteints au fond de l’oubli. Nous sommes à bord d’une barque à rames vermoulue et, avec nos filets moisis, nous attraperons les étoiles. »

 

La tristesse des anges, ou flocons de neige, est ce chef-d’œuvre qui nous incite à ne jamais renoncer. Il y a ceux qui luttent et ceux qui ont abandonné. Oui, La tristesse des anges est un roman qui porte sur les mots. Ceux que l’on dit et ceux que l’on tait. Ceux des marins et des hommes de courage. Ceux des bavards et ceux qui sont quête. Mots de tristesse ou mots de solitude, il y a les mots de l’amour et des nuits chaudes qui insufflent la vie. Et tous ces mots qui portent la mort, à laquelle personne n’échappe.   

 

« Nous entendons les poissons soupirer au fond de la mer, et ceux qui gravissent les montagnes ou se rendent sur les hautes terres peuvent écouter le chant des étoiles. »

 

« Le ciel abrite une multitude de flocons. Voilà les larmes des anges, disent les Indiens au nord du Canada quand la neige tombe. Ici, il neige beaucoup et la tristesse du ciel est belle, elle est une couverture qui protège la terre du gel et illumine l’interminable hiver. »

 

Mon billet sur le tome 1 : Entre ciel et terre

 

L'avis d'Eeguab

 

Et quelques photos de mon voyage en Islande en mai 2016...

 

 

 

 

 

 

 

 

12 juin 2016 7 12 /06 /juin /2016 14:44
Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson

Jusqu’à quel point est-il possible de mourir à cause des mots, pour les vers d’un poème?

 

« S’en vient le soir

Qui pose sa capuche

Emplie d’ombre

Sur toute chose,

Tombe le silence »

 

Bardur et un groupe de pêcheurs islandais s’étaient rendus au baraquement juste avant la nuit. Ils s’étaient assurés de bien appâter les lignes, de prendre avec eux vareuses, chandails et bonnets de laine. Mais le froid glacial de mars ne pardonne pas, il vous transperce avant de vous faire mourir à petit feu. Sur les eaux glacées du froid polaire, une simple barque de pêcheurs est un mince refuge face aux vents violents du Nord, surtout quand la tempête se lève et que le ciel déverse sa colère. Que la rage des vagues vous submerge et que vos pieds sont mouillés. Que vous ne savez pas nager. Et que vous avez oublié votre vareuse, comme Bardur, parce que les vers du Paradis perdu de Milton, le poète aveugle, se sont insérés dans les fissures de votre âme, plus forts encore que votre instinct de survie.

 

« Il est des poèmes qui changent votre journée, votre nuit, votre vie. Il en est qui vous mènent à l’oubli, vous oubliez votre tristesse, votre désespoir, votre vareuse, le froid s’approche de vous… »

 

Peut-on seulement s’imaginer jusqu’à quel point les mots sont assez puissants pour toucher le cœur des hommes et changer le cours d’une vie? Bardur est mort en mer par un jour de tempête. Son meilleur ami, le gamin, a tenté de réchauffer ses membres qui s’engourdissaient en lui frappant le corps. La peur s’est installée, les forces lui ont manquées, il s’est recroquevillé au fond de la barque et s’est laissé mourir de froid. La vie n’a pas tenu le coup face aux rimes…   

 

« Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d’autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. » 

 

Enfoncé dans la neige jusqu’aux genoux, submergé par l’incertitude et anesthésié par la peine, le gamin entreprend un voyage pour rendre à son propriétaire le recueil de poèmes qui a donné la mort à son ami. Après, il aura tout le temps de décider s’il veut vivre ou non…

 

Comme lectrice affamée de nature, c’est au moment de la traversée que j’ai revécu l’Islande des glaciers, celle que j’ai l’impression de toucher encore du bout de mes doigts. Celle des fjords et des vallées, des falaises qui surplombent la mer, celle des volcans, des cratères, des chutes et des grandes étendues de terre. Celle du sommet des montagnes dans le lit des nuages, là où se perd la ligne d’horizon et où le monde prend fin. Je n’ai « jamais été aussi près du ciel » que dans ce 66ème parallèle nord. Les paysages de l’Islande sont une incitation à devenir poète, à réciter Le Paradis perdu de Milton…  

 

« Celui qui marche un long moment seul dans une tempête de neige qui jamais ne retombe est peu à peu saisi de l’impression qu’il est sorti du monde, qu’il avance dans un désert loin des hommes. »

 

Jon Kalman Stefansson est un magicien des mots. Ses réflexions sur la vie et la mort nous amènent à nous questionner sur l’existence ; son but et ses fondements, ce que nous laissons derrière nous une fois partis. Rien ne peut égaler en souffrance la cruauté des hommes, ni leur mépris, encore moins leur lâcheté. Ce monde dans lequel nous vivons nous confronte sans cesse à l’ « autre », et à l’image d’une nature où les éléments se déchaînent, nous sommes bien petits face à la menace. Mais les forces de l’amour et de l’amitié seront toujours vainqueurs. Dans le poids de l’absence, elles triomphent du vide et de la solitude. Peut-être en partie parce qu’elles nous renvoient le symbole de notre propre liberté…

 

« Les rêves nous libèrent parfois des amarres de la vie. Ils sont tel un soleil dans les coulisses du monde. »

 

Un immense merci à toi ma précieuse Lili de m'avoir fait découvrir ce grand auteur, et par le fait même d'être retournée voyager avec toi au pays des fuzzy... :-*

 

Les magnifiques billets de Nadège et Eeguab

Et celui du Bison, tout aussi MAGNIFIQUE!  

Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson
Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson
Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson
Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson

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