« La caresse des doigts de sa main a conservé un souvenir sensible et vivace, la mémoire chaude et charnelle de la femme qu’il allait rejoindre ».
Afin d’échapper aux bruits de la grande ville et à son quotidien, Shimumara se réfugie dans une station thermale isolée du Japon, quelques fois l’an, pour goûter à la paix que seul peut offrir le silence. Les vertus d’une nature sauvage lui permettent de communier avec le temps qui file et de se retrouver. Chemin faisant, il traverse, solitaire et rêveur, un froid brûlant comme le feu, aveuglé par les échos de lumière réfléchie par la neige. Toute cette blancheur est une invitation à l’amour, au plaisir des sens, à l’abandon. La douceur des flocons, de mille cristaux, tombe du ciel comme une pluie de souvenirs charnels et doux. Elle réchauffe l’âme et les sentiments les plus fragiles. Et quand vient l’automne, la magie des couleurs donne envie d’une caresse sur la peau, d’un moment d’intimité. Ce roman est empreint de toute cette poésie, il est un hommage vibrant aux beautés de la nature. Il vous remet en question, vous secoue. Au fil des pages, comme Shimumara, j’ai compris plus que jamais ce qui m’était essentiel…
Un soir, au retour d’une semaine en montagne, il rencontre Komako, une geisha. Il est profondément ému par la beauté mystérieuse de son visage poudré de blanc comme la neige. Son kimono est de soie rouge vif. Ses doigts sont effilés et son sourire timide. Les sentiments entre eux évoluent lentement, fragiles et incertains comme toutes naissances d’amour. Ils se désirent ardemment, mais se refusent de le reconnaître. Il dit tantôt éprouver de la tendresse envers elle, tantôt de l’amitié pure.
« Il m’a fallu venir dans les montagnes pour retrouver le besoin de parler avec le monde. Et c’est afin d’échanger des propos avec vous que je ne vous touche pas. »
Il n’avait pourtant désiré qu’elle seule. Était-ce la crainte d’aimer ? La peur de la séparation à venir ? Il revenait néanmoins toujours en ces montagnes enneigées pour la retrouver. Et impatiente, elle l’attendait. Étrange opposition d’émotions à sa nature froide et distante. Et à ce genre de propos : « Entre nous c’est une affaire sans importance et sans lendemain ». Lorsqu’elle venait le rejoindre, la nuit, elle était complètement bourrée, anesthésiée de tout sentiment. Elle avait du mal à tenir sur ses jambes. On devine qu’ils se sont fait l’amour, car les doigts de Shimamura se souviennent d’elle. On devine surtout qu’ils ne font pas que regarder la tapisserie… Et puis, le temps fait son œuvre, elle devient plus accessible, plus transparente. Sans doute aussi plus émancipée, mais l’auteur est toujours demeuré discret à ce sujet. Respect de l’intimité ou pudeur ? Dommage, comme j’aurais aimé lire de belles scènes d’amour, tendres et passionnées … !
« Au pied de l’escalier, tendant le bras, il lui mit sa main gauche ouverte sous les yeux : c’est elle qui a gardé de toi la meilleure mémoire »…
Ce roman, on doit prendre le temps de le lire pour laisser les émotions couler en nous. Il rayonne par l’empreinte tangible de cette nature si belle qui se marie aux sentiments, aussi froids ou survolés soient-ils. Le contraste entre le froid de la neige et la chaleur des élans physiques des geishas donne une force fragile à cette histoire d’amour atypique. Je n’ai pas vraiment compris l’utilité de la présence d’un troisième personnage, Yoko. Shimamura est ému aux larmes par sa voix si belle, profonde et claire : « …elle vous serrait un peu le cœur, vous pénétrait de tristesse ». Son visage est empreint de solennité et il se sent attiré par elle. J’ai l’impression qu’elle vient briser l’harmonie d’un équilibre déjà difficile à atteindre. Peut-être était-ce l'objectif de l'auteur ? Je trouvais pourtant que Shimamura avait son lot de remises en question. Qu’importe, je crois qu’il a trouvé réponse au contact des montagnes et du spectacle qui s’offrait à ses yeux. « L’altitude lui redonnait une sérénité d’humeur »...
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Il faut surtout lire, maintenant, le commentaire de Phil. Quelle richesse! Domo arigato
« C'est drôle, beaucoup parle de ce livre comme d'un chef d'œuvre, mais à lire certains commentaires, on passerait à côté !
Pour l'apprécier, il faut se japoniser, accepter ce rapport au temps, cette lenteur comme les flocons de neige qui tombent au sol.
Il faut être neige, recouvrir les paysages, laisser les personnages errer, se laisser piéger par la froideur de l'hiver. Geler la situation.
C'est un livre plus subtil qu'il n'y parait. On lit, on est devant un tableau ou chaque détail compte, à sa valeur. Il y a un esthétisme dans le descriptif de ce monde, de ce village, de ces artisans, c'est hummmm !
Le temps qui passe donne un sens au déroulement des événements.
Ce livre est aussi musique, valse à 3 temps.
Le premier mouvement, c'est la rencontre, le côté passionnel et torride, des sentiments forts, de la passion d'un temps entre Shimamaru et sa maitresse geisha Komoko.
Deuxième mouvement, celui des retrouvailles, des besoins, des attentes avec sa Maitresse, même si de nouveau notre Shimamaru repartira.
Troisième mouvement le retour, et Shimamaru devient accro de Komoko qui elle "aime s'offrir" aux touristes. Puis apparait Yoko qui va troubler notre Shimamaru et emmener tout ce petit monde dans le drame.
Evidement, je l'ai trouvé splendide ce livre !
Et quelle fin ! Une conclusion ouverte qui amène à l'interrogation!
"Il fit un pas pour se reprendre, et, à l'instant qu'il se penchait en arrière, la Voie lactée, dans une sorte de rugissement formidable, se coula en lui."
Et bien sur ce blog j'espère qu'il coulera des commentaires ! »