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5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 01:00

Lieu : Tarmac de Port-au-Prince, Haïti

Lever du soleil : 6h08 - Coucher du soleil : 17h12

Décalage horaire : aucun

Météo : 31 degrés

Latitude : 18.594395 | Longitude : -72.307433

Musique : Buena Vista Social Club - Chan Chan

Un Verre au Comptoir : Barbancourt

 

 

**********************

 

 

« D’abord l’odeur. L’odeur du café des Palmes. Le meilleur café au monde, selon ma grand-mère. Da a passé toute sa vie à le boire. J’approche la tasse fumante de mon nez. Toute mon enfance me monte à la tête. Je jette trois goutes par terre pour saluer Da. »

Je débarque sur le tarmac de Port-au-Prince. Je croise un type, dans le genre souriant et avenant. Les dents blanches, fraicheur de vivre. Il respire la bonté, la bienveillance et l'humanité. Tout mon contraire. Je l'avais déjà aperçu bien des années avant à Petit-Goâve, sa terre natale. J’apprends que grand-mère Da est partie pour le « pays sans chapeau », il y a quatre ans - là-bas c’est le ciel, où repose son âme. Au cœur de ses souvenirs, les odeurs de café sont les mêmes. Quelques gouttes de Barbancourt dans sa tasse encore fumante est une réjouissance, jouissance en bouche, touche d’extase. Le café des Palmes est divin. Et la mémoire des sens ineffable, terre sauvage vers laquelle on revient sans cesse. Certes, l’errance est un rêve, elle nous emporte aussi loin de nos racines que les étoiles, mais au jour du réveil, nous savons que le pays d’une seule d’entre elle brillera à jamais d’une lueur unique. Au fil de ses déambulations, l’homme se dit qu’il n’avait pas réalisé à quel point ce « caillou entouré d’eau » lui avait manqué durant ces vingt dernières années, à quel point il avait marché à côté de sa vie.

« Ce n’est pas la même chose dans une autre langue, même si c’est le français, et surtout quand l’accent est différent. On n’est chez soi que dans sa langue maternelle et dans son accent. »

Je débarque sur le tarmac de Port-au-Prince et je croise ce type. Je suis profondément émue... Je voulais lui payer un verre, Sex’ on the Beach sur la plage de cocotiers, le rhum des îles est une escale, Sex’ appeal, coconut beach. En attendant le sourire de la serveuse noire, celle qui plait tant aux touristes avec ses seins pointus comme des ogives nucléaires, il me sert ses souvenirs, de la peur de la bombe atomique à son déracinement en terre blanche, Terre-Neuve, Sex’ on Montreal. Mon esprit redécolle aussi sec, ça le fait marrer, d’un sourire rayonnant il me confie ne pas baiser une blanche à sec. Un vieux haut-parleur crachote une musique.  

Des airs de jazz trottent dans sa tête, sa Remington ayant appartenu à Chester Himes sur les genoux, il tape frénétiquement les premières pages de son roman. L’histoire, si basique soit-elle, m’envoûte déjà : deux nègres, très spirituels qui lisent le Coran et les Boddhisattvas, passent leur temps dans une piaule minable, sombre et cafardée du quartier St-Louis, noire et cafardeux de Montréal, à écouter des disques de jazz et à baiser des femmes blanches. Ainsi soit-il, la spiritualité sent le musc sauvage, elle devient sexe. Un écrivain nègre et un bonze noir. Je me suis toujours attaché aux romans spirituels, avec ici cette pointe de déracinement.

« J’écris à ciel ouvert au milieu des arbres, des gens, des cris, des pleurs. »

J’ai bien cru d’ailleurs que j’allais me congeler la graine en atterrissant si au Nord moi qui avais prévu le minimum pour mon escale haïtienne. C’est sans compter sur la canicule de l’été indien ou la chaleur des filles de McGill, elles sont hot celles-là, même l’ivresse du grain de notre nègre ne les effraie pas. Je comprends mieux pourquoi la banquise fond toujours plus, le réchauffement climatique n’est pas un mythe, ni même la grosseur de son engin. Ce n’est pas qu’une question d’un majeur qui titille l’intimité de ces Miz mais celle d’un baobab noir qui pénètre le con d’une blanche et l’asperge de son sperme aussi blanc que nègre.

Autre temps, autre latitude, mais la graine bien au chaud et les majeurs frétillants sous le soleil des Caraïbes. Un détail peu anodin, croyez-moi, car il est impossible de s’imaginer à quel point ce bout de chair, toutes proportions gardées, peut se rendre vulnérable par moins trente. Ceci dit, après vingt ans d’exil, il se remet à peine de ses déboires sexuels avec les bombes de McGill, sans oublier ses soirées méditatives alliant à merveille l’ampleur du baobab à l’immaculé de la neige. Notre type revient ainsi vers ses odeurs de café. Parce que son grain est divin. Parce que sa graine est spirituelle. 

« Cette poussière, ces gens, la foule, le créole, les odeurs de friture, les mangues dans les arbres, le ciel bleu infini, les cris interminables, le soleil impitoyable, les femmes… »

Quand je débarque sur le tarmac de Port-au-Prince, je l’aperçois au loin, cet homme fier, dans le genre souriant et avenant. Tu sais, je trouve qu’il te ressemble, en quelque sorte, avec ses bouts de solitude et ses rêves sauvages. Sa vieille Remington ne l’a jamais quitté, ses airs de jazz non plus. Sous un manguier, il tape sur les touches de sa vie avec le sel des souvenirs et l’épice douceâtre de ses réminiscences. Il est venu nous parler d’Haïti. Et moi, affamée de son verbe, je croque dans le fruit mûr de ses mots. Les hommes d’un autre âge n’ont pas la même saveur. J’aime ce goût pimenté qu’ils me laissent en bouche...

D’autres airs de jazz trottent dans sa tête. C’est pour mieux affronter l’armée de zombis. Le dix-neuf septembre 1994, vingt mille soldats de l’armée américaine ont investi le nord d’Haïti. Telles d’autres zombies, les Miz s’investissent dans le lit de l’apprenti-écrivain, des bouteilles de vins se vident, Sonny Rollins remplit l’air fétide de cette piaule maculée de sueur mi-blanche mi-noire. Je crois que celui qui a connu la peur et redouté demain a ses raisons de craindre les bombes atomiques. Le déracinement est une forme de sevrage qui provoque l’effet de manque. Il est doux quand on se sent vulnérable de repenser à l’ami retrouvé. Et de songer à Antoinette, le pays rêvé. Lui se sèvre à la mamelle de ces nanas.

« Je reprends ma vie où je l’ai quittée. Je respire à pleins poumons. Libre dans la nuit port-au-princienne. »

Le parfum de la mangue mûre est resté sur son île. Ces filles de McGill, aussi blanches que du talc, sentent plus le baby powder que la sueur des tropiques. Accrochées au fantasme du plaisir caribéen, elles sont toutes amoureuses de Dany, de Dizzy et de sa trompette. Hé gus tu connais Charlie Mingus. Parker, j’le connais par cœur. Hé fils le dénommé Davis. Les standards de Duke Ellington, Oscar Peterson, Lionel Hampton, Scott Hamilton, je gicle sur son con, ça c’est pour la rime. Je transpire à grosses gouttes, suées aigres qui s’épanchent entre les seins parfumés d’une nana de McGill. J’aime toucher son cœur. Ça craque en moi, comme lorsqu’une branche de goyavier se fissure sous le poids de ses fruits mûrs.

Sur le tarmac j’ai croisé ce type, beau, grand, fier... échange de regards, de sourires. Dans ses yeux, cette étincelle. Je l’ai trouvé nostalgique. De vieux souvenirs sans doute, des parcelles de rêves qui vacillent entre Montréal et Port-au Prince, de Petit-Goâve à McGill. Va-et-vient de son cœur tropical, de son corps animal. Le temps file, un million de gens sont entassés au milieu des détritus, des cadavres d’animaux, de la sueur, de la pisse, des égouts. Au centre de ce ravage, la fleur d’oranger, une caresse du vent et la saveur des épices. Mais avant tout, l’odeur du café. Le bon vieux café des palmes que grand-mère Da aimait tant. De son « Pays sans chapeau », il suffit de fermer les yeux pour entendre l’écho éternel de sa voix. 

Un vieux vinyle posé sur la platine crache des airs de jazz. Je me lève, une envie soudaine de danser sous un manguier au clair de lune. D’autres airs, une autre musique. Envoûtée par les notes de Chan Chan, je t’invite à me rejoindre, Buena Vista Social Club baby, un homme rentre au pays, Miz Littérature revient ce soir. Pour faire la vaisselle, pour faire le ménage. Elle aime quand c’est net, c’est qu’elle a le cul aussi propre qu’une bourgeoise, sentir l’immaculé avant ma giclée. Elle me demande ce que je lis au lit. Parce qu’entre nous, il est aussi beaucoup question de littérature. Ma réponse l’éclaire : j’aime quand on me suce quand je lis Bukowski. Elle descend ma fermeture éclair. Avec Miller, j’aime humer la mousse d’une bière. Au tour d’Hemingway et elle me sert un whisky tourbé, odeur de fumée ou de café. Je ne sais pas à quel moment notre conversation a déviée sur Mishima... Mais il ne faut pas être gêné, Mishima nécessite un certain rituel. Comme le seppuku, il a ses codes et ses honneurs. Avec Mishima, la sodomie s’impose. Elle se retourne je pose mon livre sur son derrière, les reins légèrement cambrés, et la pénètre, façon d’honorer son cul, elle garde la tête fière, lisant la prose nippone, ressentant mon sabre la transpercer, de son cul à son âme, la plus belle des littératures.   

Mais je sens que mon âme dérive sur les écueils de la vie. Mon récit s’écrase sur ses récifs. Mon escale en terre haïtienne a tourné court, pris dans un tourbillon de chaleur, de sueur et de sperme qui colle les dernières pages de mon livre comme l’auteur qui a fini son roman sur une vieille Remington ayant appartenu à Chester Himes.

 

Nos lectures :

« Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » - Dany Laferrière 

et

« Pays sans chapeau » - Dany Laferrière

 

Et si on dansait sur

Chan Chan de Buena Vista Social Club (CLICKER POUR ENTENDRE)

 

 

Les Escales, 

un voyage littéraire composé à 4 majeurs.

Merci BISON d'avoir fait ce voyage haïtien avec moi, entre moiteur caribéenne et érotisme en terre québécoise :-) 

 

Prochaine escale : Mexique

 

 

commentaires

N
J'ai découvert Dany Laferrière grâce à toi, je t'embrasse.
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N
Les odeurs du café de grand-mère Da... Ce livre que j'ai à jamais posé sur mon cœur, pour les raisons qu'il évoque en moi...<br /> Bises xx
M
Je n'ai aucune mémoire mais il y des choses qui ne s'oublient pas... <br /> Bon anniversaire Nad !!! <3
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N
Sais-tu à quel point ces mots-là et toutes tes belles attentions de la journée m'avaient touchée?<br /> Gros becs mon sweet kinG <3 :-*
D
Bonsoir Nadine, en attendant ton escale mexicaine, je te souhaite une très bonne année 2018 avec tout plein de bonnes choses. J'ai cru comprendre qu'il fait très froid au Canada en ce moment. Bon courage.
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N
Avec un mois de retard je te souhaite aussi une très belle année. Oui il fait froid par ici! Il faut se couvrir au risque de se geler les majeurs... Bonne soirée
L
Une super escalde! J'aime vraiment ces billets, tout comme les blablas d'ailleurs!
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N
Merci ma chère Céline, et moi j'ai hâte de lire ton bouquin ! :-*
A
Pfiou mais quel billet inspiré et inspirant ! Ces escales sont aussi chouettes que les blablas ! J'adore cet auteur ! J'ai lu Pays sans chapeau qui est un de mes incontournables mais il me reste encore à découvrir Comment faire.... J'aurais dû me ruer dessus depuis un bail d'ailleurs, je ne comprends pas ce que j'attends ! Un peu de temps sûrement...^^<br /> Ouh ! Vivement le weekend d'ailleurs, en parlant d'avoir du temps pour soi.^^<br /> Big smaaaaaacks !
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N
Ah le temps... et il en faut pour prendre le temps de lire ses romans et les savourer ! :D<br /> SMACKKKKKKKKKKKKK
J
J'ai lu tout Laferrière je crois bien. Autant te dire que j'adore ce bonhomme...<br /> Et "Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer " reste mon roman préféré, sans doute parce que je l'ai lu pendant un été à Montréal il y près de 20 ans^^
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N
Faut v'nir à Montréal pour ça ! :D
L
Oui, je veux tout savoir sur les filles de McGill !!
N
Et t'as connu les filles de McGill Jérôme? ^^
M
Du Jazz, des giclées de sperm, du Whisky, Bukowski, pas de doute, le Bison est dans les parages...^^
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N
SES majeurs, frétillants, titillants ^^
L
Seulement son majeur.... dégoulinant du parfum d'une mangue bien mûre...
L
PS : Elles sont si hot que ça, les filles de McGill ?
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N
Aussi hot qu'un café fumant ! ^^
L
Je vais avoir en tête cet air de Compay Segundo toute la journée, de quoi prolonger l'escale dans la moiteur haïtienne et l'érotisme québécois :-) joliment dit.<br /> <br /> Avec cette odeur de café, tu aurais du mettre une tasse de café dans ton logo, au lieu d'une binouze...<br /> <br /> En tout cas, un vieux Barbancourt sans tuque et en gougounes, ça doit le faire pas mal :-)
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N
Ben moi tu sais j'aime pas le café, mais j'ADORE son odeur! :P<br /> Et puis une FDM c'est la classe, surtout en gougounes sous un manguier. Ou un goyavier, les majeurs en émoi... :D<br /> T'as pris ton billet pour le Mexique? Gardes tes gougounes et sors la bouteille de mezcal, j'te laisse le ver ^^ ( et n'oublies pas de bien le croquer mdr)
A
Un auteur qu'il faut que je découvre absolument, surtout par ces temps froids.
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N
J'adore cet auteur! Ses mots, ses pensées, son charisme, sa terre natale... À découvrir!

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