« Il faudrait toujours être en route pour l’Alaska. »
Kodiak, Alaska, The Last Frontier. Nulle part ailleurs n’existe un bout de monde qui me fasse tant rêver. Combien de fois m’y suis-je imaginée, à mille milles de toute terre habitée, goûtant aux saveurs de l’instant. Combien de fois me suis-je dit que là-bas, je pourrais vivre de ce temps en suspens, des heures et des heures sur le fil fragile de ce bonheur que l’on capte à même le souffle de l’infiniment petit, pour autant que l’on apprenne à respirer en accord avec le vent du Nord. Un toit, quatre murs, une cabane pour abriter mes rêves. Et au bord de ce lac, la poésie d’une nature sauvage qui n’a de limites que ses forêts à perte de vue. Il y aurait des grizzlys, ça oui, peut-être arriverais-je même à m’y faire (mais j'en doute...). Un bout de monde et toute cette blancheur. Goûter au silence.
« On quitte enfin la terre, je sais déjà que je n’en reviendrai jamais. »
Kodiak, Alaska. Lili en avait aussi rêvé. Elle avait une fougueuse envie d’aller y pêcher la morue, d’apprendre le métier de marin. De tout foutre en l’air et de changer de cap. Qui n’en a jamais rêvés au moins une seule fois? Surtout, ne plus revenir vers cette vie d’avant, se faire passer pour morte s’il le faut. Vivre éternellement dans un bateau, ne plus jamais poser le pied à terre, sous peur de tanguer et de perdre ses repères...
À bord du Rebel, elle se sent vivre. Et moi, solitaire, je respire à ses côtés. Il nous suffit de peu, un ciré, des bottes étanches et des long johns, pour les soirées froides. Il faudra faire nos preuves dans ce milieu d’hommes. Qu’importe, nous travaillerons jour et nuit, le visage brûlé par le froid, le vent, souffrant du manque de sommeil et de chaleur humaine, du mal de mer, de tous les dangers et de cette mer déchaînée qui ne pardonne pas. Les palangres sont à l’eau, il faut les remonter à bord, déferlante de poissons. Nous rêvions de devenir matelot et nous le sommes devenues...
« Peut-être va-t-on toujours aller ainsi, jusqu’à la fin de tous les temps, sur l’océan roussi et vers le ciel ouvert, une course folle et magnifique dans le nulle part, dans le tout, cœur brûlant, les pieds glacés, escortés d’une nuée de mouettes hurlantes, un grand marin sur le pont, visage apaisé, presque doux. Quelque part encore… des villes, des murs, des foules aveugles. Mais plus pour nous. Pour nous, plus rien. Avancer dans le grand désert, entre les dunes toujours mouvantes et le ciel. »
Mais la passion souvent nous fait oublier de se méfier. Je la trouve courageuse de boire à même la poche de laitance des poissons qu’elle ouvre, ce liquide visqueux me dégoûte. Je lui envie un peu moins de devoir retourner sur la terre ferme. Une arête caudale de morue noire s’est fichée dans l’os du pouce, le poison est mortel. J’ai pitié pour elle, alors je pose les pieds hors du Rebel et je marche sur les docks. J’apprends la vie des marins qui abreuvent leur ennui dans une chambre de motel. J’apprends les bars et les femmes qui leurs tiennent compagnie. J’apprends aussi l’alcool et la gueule de bois. Et puis j’apprends à connaître un peu mieux ce grand marin dont elle m’a tant parlé...
« Car il est le pêcheur, pour moi il est le seul. Il sait tout. Sa puissance ne tient pas à la largeur de ses épaules ni à la taille de ses mains, elle est dans son cri, l’écho de sa voix lorsqu’elle se perd dans la vague et le vent, lui debout, narines dilatées, seul dans son tête-à-tête avec la mer, seul toujours dans sa manière de regarder le ciel, de sonder les flots comme s’il y lisait quelque chose – ou rien, peut-être n’y voit-il qu’un grand désert qui s’étend, sans fin, dans les cris hennissants des goélands qui s’élèvent en rafales comme des chevaux de vent. »
Kodiak, Alaska, The Last Frontier. Nulle part ailleurs n’existe un bout de monde qui m’avait autant fait rêver. Maintenant que j’y suis, je sais désormais que ma place est parmi ces hommes du Nord. Le Grand Marin, l’homme-lion, a passé sa vie entre le whisky, les femmes et l’héroïne. Lili m’a appris à le regarder autrement. Regarde qu’elle me dit, admirative, regarde-le pêcher, remontant les calandres, si fort et fragile à la fois, c’est là toute sa beauté. Elle m’a raconté ses nuits d’amour avec lui, le pêcheur d’Alaska, mon Grand Marin.
« Les étoiles frémissent. Les autres sont à l’abri en troupeau endormi. Mais pas nous. Nous, on est sur la crête de la vague noire, dans la fraîcheur de la bruine. Le grand marin m’attire contre lui, on s’aime sous le duvet. Je ris quand il glisse, le vent court dans mes reins. »
Viens avec moi qu’il lui disait, nous nous marierons.
« Tu comprends pas… Moi je veux pas d’une maison, j’veux vivre. J’veux partir et aller pêcher. J’attends pas. Non j’attends pas. Moi je cours. Je veux être en mer. »
Mais Lili rêvait de liberté. Une fois arrivée vers ce bout de monde, elle voudrait aller encore un peu plus loin, à Point Barrow, Alaska. Là ou la terre s’arrête...
« C’est le bout. Après y’a plus rien. Seulement la mer polaire et la banquise. Le soleil de minuit aussi. Je voudrais y aller, m’asseoir au bout, tout en haut du monde. J’imagine toujours que je laisserai pendre mes jambes dans le vide… Je saurai que je ne peux pas aller plus loin parce que la Terre est finie. »
« Moi je cours. Je veux être en mer... »
Merci à mon sweet kinG de m'avoir permis ce voyage vers l'Alaska de mes rêves <3