« J’ai essayé d’écrire ma mère »
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« À travers l’écriture je cherche l’origine de sa souffrance »
Je n’arriverai jamais à décrire, avec toute la force qu’elle mérite, le courage de cette femme et l’admiration que je porte à ses élans de survie. En couchant les mots sur le papier glacé des heures sombres de son enfance, Delphine de Vigan a souhaité rendre hommage à sa mère, Lucile, une femme hors du temps. Écrit à partir de lettres, de dessins, de photos et de témoignages, ce récit est teinté par l’absence d’une mère, sa mort et l’angoisse dans laquelle elle l’aura laissée. Elle racontera le milieu social, les étés passés dans un camp de naturiste, les soirées généreusement arrosées d’alcool et de vapeurs de joints, sa mère se défonçant chaque soir et leur maison tenant lieu de repère d’hippies où l’on venait s’éclater jusqu’aux petites heures du matin. Avec le temps, une distance douloureuse se sera installée entre sa mère et elle, qu’elle n’appellera plus même « maman » mais Lucile. Jusqu’au jour où elle la trouvera morte, des « minutes d’apnées » qui la plongeront inévitablement dans le brouillard et la terreur. C’est sur cet événement que s’ouvre le roman. Son histoire m’a bouleversée…
Lucile, « femme abîmée », «petite chose friable, recollée, rafistolée, irréparable ». C’est le souvenir qu’en garde Delphine de Vigan, trois ans après sa mort. Dans son enfance, enfant à l’écart et la préférée de son père, elle se démarquait déjà par ses isolements silencieux, son humour à froid, ses airs absents, le mystère dont elle s’entourait et ses nombreuses peurs, du bruit, des voleurs, des voitures etc. Elle rêvait alors de « devenir invisible », ironie du sort pour cette jeune fille sur laquelle tous les regards se posaient. Elle était d’une grande beauté, modèle pour des magasines et des défilés de mode. Puis vint le grand dérapage où elle sombra dans la folie, qu’on l’interna à quelques reprises et qu’on lui diagnostiqua une psychose maniaco-dépressive où elle resta près de 10 ans dans l’enfermement de pensées suicidaires. Bourrée de neuroleptiques, les yeux dans le vague, léthargique, délirante et sujette à des pensées morbides et à des hallucinations, c’est le modèle de mère avec lequel Delphine de Vigan a passé son enfance et son adolescence.
« Lucile est devenue cette femme fragile, d’une beauté singulière, drôle, silencieuse, souvent subversive, qui longtemps s’est tenue au bord du gouffre, sans jamais le quitter tout à fait des yeux, cette femme admirée, désirée, qui suscita les passions, cette femme meurtrie, blessée, humiliée, qui perdit tout en une journée et fit plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, cette femme inconsolable, coupable à perpétuité, murée dans sa solitude. »
Delphine de Vigan nous raconte ici l’histoire d’une famille, la sienne, qu’elle qualifie de dévastée. Outre les nombreux amours de sa mère, les suicides, les morts, les maladies, les accidents, elle a gardé d'elle le souvenir ineffable d’une femme en perpétuel mal de vivre. De nombreux passages m’ont troublée aux larmes, son passé bien sûr avec lequel elle vit au présent de l’imparfait, mais aussi la présence néfaste de son propre père, l’anorexie, l'inceste, les viols... Merci à vous Delphine de Vigan, votre histoire est un peu devenue la mienne, la nôtre. Elle laissera longtemps en moi des traces de douleur...
« Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence. »
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« Lucile est morte comme elle le souhaitait : vivante. Aujourd’hui, je suis capable d’admirer son courage. »
Les avis de Claudia Lucia et Malika
Et ceux de manU, Nadège et Claudia Lucia sur « D’après une histoire vraie »
Photo : Lucile dans une pub