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3 septembre 2016 6 03 /09 /septembre /2016 19:29
Art - Yasmina Reza

Ça faisait une éternité que je n’avais pas autant ri en lisant un livre! J’ai dévoré d’une traite ses quelques dizaines de pages avec le regret d’arriver si vite au dénouement de l’histoire. Ce court roman est inspiré de la pièce de théâtre du même nom, Art, écrite par Yasmina Reza. Elle met en œuvre la symbolique de la toile blanche, de ces fameuses toiles que l’on retrouve dans les plus grands musées d’art contemporain au monde. Celle qui nous concerne ici fait environ un mètre soixante par un mètre vingt, blanche. Bon ok, il y a quelques lignes transversales… blanches… peut-être aussi quelques fines rayures… blanches… en gros, l’œuvre est monochrome, et Serge vient de l’acheter pour deux cent mille francs. S’installe entre lui, Marc et Yvan, ses amis de longue date, un dialogue à l’humour cinglant.   

 

Serge : Tu n’es pas bien là. Regarde-le d’ici. Tu aperçois les lignes?

Marc : Comment s’appelle le…

Serge : Peintre. Antrios.

Marc : Connu?

Serge : Très. Très!

Marc : Serge, tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs?

Serge : Mais mon vieux, c’est le prix. C’est un ANTRIOS!

Marc : Tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs!

Serge : J’étais sûr que tu passerais à côté…

Marc : Tu as acheté cette MERDE deux cent mille francs?

Serge (se dit à lui-même) : « Mon ami Marc fait partie de ces intellectuels nouveaux qui, non contents d’être ennemis de la modernité, en tirent une vanité incompréhensible »

 

Serge, l’acquéreur de l’œuvre, est plein de fric. Médecin spécialiste, c’est le genre de gars plutôt snob, limite prétentieux et sûr de lui-même, pour ne pas dire imbu. Fier de son achat, il compte partager sa joie avec Marc et Yvan. Le problème c’est que Marc, en parfait cartésien rigide et méprisant, est complètement désintéressé par l’art moderne. Plus que déstabilisé par l’achat de Serge, qu’il qualifie de « merde blanche », il n’arrive pas à comprendre qu’il s’y intéresse, plus encore, il s’inquiète pour lui, y voit quelque chose de « grave » chez son vieux copain. Il croit même qu’il devrait aller consulter un psy. En sortant de chez lui, pour l’aider à diminuer son anxiété, il doit prendre des granules de Gelsémium… Serge n’en reste pas là, il reproche à Marc sa suffisance, son ignorance, son manque de tact, sa condescendance…

 

Marc : « Que Serge ait acheté ce tableau me dépasse, m’inquiète et provoque en moi une angoisse indéfinie. »

 

Yvan joue le rôle de médiateur. Lui, c’est le gars nerveux et anxieux, qui fuit les conflits. Contrairement à Marc, il ressent une certaine « vibration » devant le tableau. Il est touché par les couleurs et croit que derrière chaque œuvre il y a un « parcours intérieur », une recherche de sens. Marc est scandalisé... vous êtes cinglés ou quoi!!!???

 

Marc : « Bien sûr. On ne peut pas détester l’invisible, on ne déteste pas le RIEN! »

 

C’est drôle, l’humour est absurde et les dialogues à mourir de RIRE! Certain qu’on m’a entendue dans tout le camping cet été! :D  

Art - Yasmina Reza
27 août 2016 6 27 /08 /août /2016 01:47
Gouverneurs de la rosée - Jacques Roumain

“Gouverneurs de la rosée est le plus beau roman d’amour que j’ai lu… »  

Dany Laferrière

 

Il y a des livres avec lesquels on tombe littéralement en amour dès les premières pages. Gouverneurs de la rosée est de ces romans que l’on oublie jamais…

 

« Toutes ces années passées, j’étais comme une souche arrachée, dans le courant de la grand’rivière ; j’ai dérivé dans les pays étrangers ; j’ai vu la misère face à face ; je me suis débattu avec l’existence jusqu’à retrouver le chemin de ma terre et c’est pour toujours. »

 

Après plusieurs années d’exil, Manuel est de retour vers l’Haïti de son enfance. Il revient des champs de canne à sucre de Cuba où il a trimé dur du matin au soir. Il pourrait lui prendre l’envie de pleurer tant le spectacle qui s’offre à ses yeux est désolant : Fonds-Rouge, sa terre natale, est en train de mourir. Calcinés sous la chaleur de la Savane, les arbres sont morts, morts de soif. Le canal est à sec et tout dépérit, les bêtes comme les plantes. Il n’y a plus rien à se mettre sous la dent, ni de riz-soleil, ni de pois-congo, pas même une goutte d’eau. Le grand mal s’est emparé du village et par-dessus tout, la main de l’homme a tout déboisé…   

 

« Tu as beau prendre des chemins de traverse, faire un long détour, la vie c’est un retour continuel. »

 

Les habitants sont amers. Le serait-on à moins? À bout de nerfs, les enfants pleurent et les mères ont peur – elles ont peur pour eux. Toute cette haine, ces bavardages, ces querelles et vengeances engendrés par la misère. Mais ils ont la foi, c’est ce qui les maintient en vie. Les hounsi s’adonnent des nuits entières à des prières et rites vaudous, sacrifiant une bête en dansant sous les étoiles. Quelques uns trouvent une consolation salvatrice, bien qu’éphémère, dans les bouteilles de clairin haïtien, une eau-de-vie à 60% d’alcool. De quoi noyer, pour au moins quelques heures, la peur du lendemain.

 

“Le malheur bouleverse comme la bile, ça remonte à la bouche et alors les paroles sont amères. »

 

Alors Manuel s’est mis à chercher l’eau. Au-delà du courage, il avait trouvé l’amour dans le regard complice d’Anaïse. Un amour infini, fait de confiance et de rêves communs. Celui qui vous mène à franchir n’importe quels obstacles et dont les pires sécheresses n’arriveront jamais à faire mourir la soif de vivre. C’est ainsi qu’un jour il aperçut les malangas. Puis l’eau s’était mise à monter. Menant Anaïse au secret de la source, il lui fit l’amour pour la première fois, « et la rumeur de l’eau était entrée en elle »…  

 

« Elle ferma les yeux et il la renversa. Elle était étendue sur la terre et la rumeur profonde de l’eau charriait en elle une voix qui était le tumulte de son sang. Elle ne se défendit pas. Sa main si lourde lui arrachait une douceur intolérable, je vais mourir. Son corps nu brûlait. Il desserra ses genoux et elle s’ouvrit à lui. Il entra en elle, une présence déchirante, et elle eut un gémissement blessé, non, ne me laisse pas ou je meurs. Son corps allait à la rencontre du sien dans une vague fiévreuse ; une angoisse indicible naissait en elle, un délice terrible qui prenait le mouvement de sa chair ; une lamentation haletante monta à sa bouche, et elle se sentit fondre dans la délivrance de ce long sanglot qui la laissa anéantie dans l’étreinte de l’homme. »

 

Il n’y aura désormais qu’une seule façon de faire de la nature qu’elle soit gonflée de pluie. Ne jamais oublier que dans la misère et l’injustice, l’entraide et le pouvoir de la réconciliation triompheront de tout. Et l’amour surtout - avant tout - celui d’Anaïse...  

 

Le chant du coumbite sera celui de l’eau, des plantes, de la terre, de l’amitié et du courage. Et la mort, « le recommencement de la vie. » 

 

« Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes : c’est une présence, dans le cœur, ineffaçable, comme une fille qu’on aime : on connaît la source de son regard, le fruit de sa bouche, les collines de ses seins, ses mains qui se défendent et se rendent, ses genoux sans mystères, sa force et sa faiblesse, sa voix et son silence. »

 

C’est sans aucun doute l’un des plus beaux romans que j’ai eu l’occasion de lire… <3

 

 

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Je voudrais remercier Aurore, Samuel et particulièrement Anthony, avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger, d’avoir fait en sorte que ce roman se rende jusqu’à moi. Les trois fondateurs de La Kube vous proposent, par l’entremise de librairies sélectionnées, de recevoir, par la poste, un livre finement choisi selon vos envies. Par la même occasion, je tenais à remercier Sarah, de la librairie Terre Des Livres, de m’avoir fait découvrir Gouverneurs de la rosée. Je n’oublierai jamais ce roman, d’une beauté infinie…

 

Commandez votre Kube! C’est ICI

17 août 2016 3 17 /08 /août /2016 18:04
Lever de rideau sur Terezín - Christophe Lambert

« Faites de moi ce que vous voulez, mais faites le vite… »

 

L’été dernier, j’ai pris le train pour Terezín, à une soixantaine de kilomètres au Nord-Ouest de Prague. Mes enfants étaient là, ils avaient besoin de « savoir », de toucher l’empreinte inhumaine, encore floue à leurs yeux, des camps d’extermination nazis. Nous n’oublierons jamais cette journée, comme marquée pour toujours au fer rouge…

 

Durant la Deuxième Guerre Mondiale, la ville-forteresse de Terezín fut transformée en ghetto juifs, réservé aux gens célèbres, savants, musiciens, intellectuels et artistes de toutes sortes. Chaque semaine, ils y étaient déportés par centaines, entassés dans des wagons à bestiaux. Qui pourrait comprendre, sinon ceux et celles qui l’ont vécu, le poids de l’épuisement? La soif et la faim qui vous rongent? Le dégoût des odeurs fétides s’échappant du seau d’excréments plein à ras bord? Qui pourrait comprendre le cri des enfants, peut-être les vôtres, et pour qui vous avez peur, impuissants à les protéger des souffrances qu’ils endurent? L’incertitude vis-à-vis ce qui les attendait, aux vues des traitements inhumains qui leurs étaient accordés, ne laissait présager rien de bon. L’homme est capable des pires atrocités…

 

Ce soir-là, Victor Steiner, célèbre dramaturge juif, marchait dans les rues de Paris, en direction de son domicile. Il sortait de la représentation du Soulier de satin de Paul Claudel – durant la guerre, les salles de spectacle étaient interdites aux Juifs. Des coups de sifflet se firent entendre. Il est arrêté et déporté à Terezín, où il trouvera, en l’officier nazi Waltz, l’un de ses plus grands admirateurs. En vue de la visite de contrôle des membres délégués de la Croix-Rouge – et dans l’unique but de les divertir - l’officier SS lui commandera une pièce inédite en allemand. Coup de théâtre, les nazis vont tenter de créer un « faux décor », un paradis artificiel où les malades seront cachés dans les sous-sols. Il y aura un match de football, un orchestre, des jeux de rôle simulés dans le bonheur et l’épanouissement. Steiner « jouera le jeu ». Parce que l’écriture est avant tout un exutoire, qu’elle sera son unique chance de survivre. Et qu’il n’aura plus rien à perdre.

 

« L’art est une version stylisée de la vie. »

 

Lever de rideau sur Terezín nous raconte le courage de milliers d’êtres humains. Dans cette ville coupée du monde, deux à trois mille personnes sont mortes chaque mois. Des listes affichées sur les murs du baraquement Magdebourg décidaient du sort de centaines de prisonniers. Y étaient inscrits tous ceux qui seraient envoyés par convois vers Auschwitz-Birkenau, pour y être gazés. Lors de la visite des membres de la Croix-Rouge, le 23 juin 1944, 7500 noms ont été inscrits sur ces listes. Il fallait « faire le grand ménage »…   

 

Ce livre est aussi une histoire de courage et de solidarité. Je repense à l’humoriste Jean Milton, au bibliothécaire Moese Richter, à Léo Sapolsky et son grand-père Slavek, au Grand Sebastian, qui a donné sa vie. Et à tous les autres…

 

En fin de journée, en reprenant le train pour Prague, j’avais la gorge nouée. Oui, vraiment, l’humain est capable des pires atrocités…

 

Un immense merci au kinG des marais. Avec ce roman, j’ai revécu la teneur émotionnelle que m’avaient laissé les lieux. Je suis encore bouleversée...

(Vincent viendra y poser ses mots…) ;-)

 

************************

 

A little garden,

Fragrant and full of roses.

The path is narrow

And a little boy walks along it.

 

A little boy, a sweet boy,

Like that growing blossom.

When the blossom comes to bloom,

The little boy will be no more.

 

Poème écrit en 1943 par un enfant déporté à Terezin

Lever de rideau sur Terezín - Christophe Lambert
Lever de rideau sur Terezín - Christophe Lambert
Lever de rideau sur Terezín - Christophe Lambert
9 août 2016 2 09 /08 /août /2016 21:57
Un autre monde - Barbara Kingsolver

« Il y a, en chacun de nous, un autre monde. La chose la plus importante est toujours celle que l’on ne connaît pas. » Barbara Kingsolver

 

Un jour qu’il débarque sur un quai d’Isla Pixol, au Mexique, Harrison William Shepherd achète son premier carnet d’écriture. Le deuxième cahier, déniché chez un marchand de tabac à 13 ans, sera retrouvé plusieurs années plus tard, en 1954. À l’image d’un roman, il a voulu se raconter, mettre en mots les souvenirs de son enfance et de sa vie d’adulte. Comme une façon pour un homme de laisser des traces de son existence. De se construire un monde, « Un autre monde ». Shepherd a erré toute sa vie à la recherche d’une famille, d’un lieu d’appartenance. Né en 1916 aux États-Unis et emmené au Mexique par sa mère mexicaine, l’homme en fuite se rend témoin de certains des grands événements qui ont marqué l’histoire.

 

Hernán Cortés découvre Tenochtitlan, le Mexico d’aujourd’hui, anciennement la capitale de l’empire aztèque, qu’il finit par conquérir après l’avoir saccagée, pillée et réduit les Indiens en esclavage. Quelques siècles plus tard, George Patton participe à l’ « Expédition Mexicaine », une opération militaire menée par les États-Unis dans le but de s’opposer aux forces paramilitaires de la Révolution Mexicaine de Pancho Villa. Pancho Villa! Le redoutable hors-la-loi mexicain, général de l’armée, celui qui dégaine aussi vite que je décampe quand je croise une tarentule dans la jungle du Mexique. Moi, à ta place, je garderais mon « gun » pas loin puis j’éviterais de voler le ver au fond de sa bouteille de mezcal. Ça pourrait le mettre de mauvaise humeur…    

 

Pour revenir à Shepherd, notre héros mi mexicain mi gringo, on l’a fait prisonnier avec sa mère à Isla Pixol, une île sur la côte est du Mexique - un peu comme le comte de Monte Cristo sur son île au large de Marseille. Tous deux retenus dans l’hacienda d’un certain Enrique, un homme dans le pétrole. Ils prennent la fuite alors que le petit a treize ans. Un jour, alors qu’il déambule dans un marché de Mexico, il aperçoit une reine aztèque, parée d’une longue jupe colorée et de boucles en or. Une bague à chaque doigt, dentelles et rubans, puis la grâce d’un corsage à volants Tehuana. Elle s’appelle Frida Kahlo. Shepherd travaillera d’abord pour Diego Rivera, en tant que plâtrier, puis sera cuisinier de la famille et traducteur.

 

À partir de ce moment, je n’ai plus été capable de lâcher ce roman! Retrouver la Maison Bleue de Coyoacan, c’est un peu comme sortir de mon igloo après des mois d’hibernation et me retrouver entourée de palmiers et de figuiers, d’oiseaux en cage et de fontaines, Frida avec son singe sur l’épaule – son animal de compagnie. C’est revivre la vie d’une femme fascinante, entre ses excentricités et ce tragique accident de tramway la clouant des jours entiers au lit dans des douleurs atroces et le verdict d’une incapacité d’avoir des enfants. C’est aussi tenir l’échafaud pendant que son muraliste de mari, Diego Rivera – communiste de surcroît – est en train de peindre le Palais National. Mais surtout, c’est redécouvrir la liaison secrète entre Frida et Trotski, le grand révolutionnaire russe.

 

« Les nouveaux travailleurs n’ont pas seulement besoin des fresques de votre mari, mais aussi de ce que vous offrez : beauté, vérité, passion. L’art véritable et la révolution se rejoignent sur les lèvres. » - Léon Trotski

 

Alors que Diego demanda au président russe de lui offrir l’asile politique sous sa garde – Trotski faisant face à plusieurs chefs d’accusation au procès de Moscou - le visiteur se la coulait douce avec la belle mexicaine. Avec sa femme Natalya, ils habitaient la Maison Bleue de Coyoacan. Des dizaines de gardes-du-corps armés encerclaient nuits et jours la maison, craignant les attaques des agents de la Guépéou de Staline. Le père de la Révolution d’Octobre s’est vu exclu du Parti communiste soviétique et condamné à l’exil.    

 

Barbara Kingsolver nous offre un tableau à la fois historique et romancé des grands événements qui ont marqué le Mexique. Ni les détails, ni la fine documentation, ne manquent à son roman. Elle est, depuis toujours, l’une de mes écrivaines américaines favorites. Femme déterminée, militante à l’encontre du maccartisme, – clin d’œil au général Patton – militante pour la liberté des femmes et la justice sociale, biologiste, activiste écologique et romancière, vivant dans une fermes isolée des Appalaches, un rêve que je lui envie.    

 

Sur ces mots, je m’en retourne à ma hutte quelque part sur l’île de Montréal, qui n’a de mexicaine que la bouteille de mezcal, logée au fond d’un vieux buffet et rapporté de Tulum, pour recevoir mes invités. Sur ma minuscule terrasse de ville, je pars un feu pour la cuisson des tortillas. Les enfants coupent le bambou dans les marécages. Et je m’apprête à faire cuire des pattes de tarentules grillées, alors qu’un BISON, toujours aussi peu disposé à « y mettre du sien », se la coule douce avec la même ferveur qu’il met à vider sa bouteille de mezcal, le ver y compris. L’instant d’une rêverie et il s’est pris pour Pancho Villa… 

Un autre monde - Barbara Kingsolver
Un autre monde - Barbara Kingsolver
7 août 2016 7 07 /08 /août /2016 19:20
La mer - John Banville

 « Le passé cogne en moi comme un second cœur »

 

*******

 

« Le bonheur est différent dans l’enfance. À l’époque, c’était surtout une simple affaire d’accumulation, d’engrangement de choses – nouvelles expériences, nouvelles émotions – qu’on posait, tels des carreaux vernissés, sur ce qui deviendrait un jour le pavillon merveilleusement achevé du moi. »

 

Max revient sur les lieux de son enfance, aux Cèdres. Le silence de bord de mer évoque en lui les journées de fièvre et le besoin de solitude. Cinquante années se sont écoulées depuis son dernier séjour ici. Malgré le temps, Max n’a jamais oublié. Ni le bungalow, leur résidence de vacances, encore moins le sourire de Grace et la rondeur de ses hanches…

 

« Quand elle court, sa jupe se gonfle derrière elle et je ne peux détacher mes yeux du renflement noir sur l’apex inversé de son pubis. Lorsqu’elle bondit, elle empoigne l’air, pousse des cris haletant et rit. Ses seins ballottent. À la voir, on est presque saisi d’inquiétude. »

 

Il avait onze ans, elle avait trois fois son âge. La mère sexy de Chloé et Miles, ses amis. Fantasme du jeune garçon à peine pubère, il ressentait une forme d’excitation nouvelle et douloureuse à son contact. Projeté dans l’univers du désir comme expulsé du monde de l’enfance. Comment l’oublier... comment oublier le premier amour, les arômes du frisson. Sous les draps, les premières caresses du plaisir solitaire, la découverte de sensations nouvelles en imaginant ce corps de femme, nu, se heurter à la provocation de ses sens.

 

« Je me représentait le va-et-vient et le frémissement de cuisses halées devant lesquelles un ventre pâle se dérobe alors même qu’il s’abandonne, et j’entendais les gémissements de volupté et de douleur délicieuse mêlées. »

 

Venu vivre sur « les décombres du passé », Max cherche à retrouver des détails, des parcelles de souvenirs. Sa femme vient de mourir. À travers le tumulte de ses pensées, il arrive à peine à griffonner quelques mots sur le peintre Bonnart dont il doit rédiger une monographie. Entre passé et présent, son âme effleure les pas de Grace. Puis les derniers instants de la vie de sa femme. Cette chambre sombre des soins palliatifs, l’envie de hurler sa colère, sa tristesse et de tout foutre en l’air. Refaire sa vie, mais d’abord y donner un sens...

 

« Je ne veux pas de sollicitude. Je veux de la colère, des vitupérations, de la violence. Je suis pareil à un type affligé d’une rage de dents qui, malgré la douleur, prend un malin plaisir à enfoncer encore et toujours le bout de la langue dans la cavité douloureuse. J’imagine un poing surgi de nulle part et me frappant en pleine poire, c’est tout juste si je ne sens pas le coup sourd, si je n’entends pas l’arête de mon nez se briser et cette idée me procure un soupçon de satisfaction. » 

 

Avec son très beau roman, John Banville nous parle de l’amour, celui qui nous amène à nous découvrir soi-même. De l'amour des premiers frissons, et de toutes ces « premières fois », à l’amour qui vous consume. Max est « tombé en amour » comme on tombe d’un précipice. Il cherche à se reconstruire dans le tumulte des eaux, où il réapprend à nager. En apnée, la vie est tel un tourbillon. Elle vous entraine vers le fond avant que vous refassiez surface. Fort de la chute…

 

« Je suis en deuil et meurtri, j’ai besoin qu’on respecte mes sentiments. S’il existe des répits à long terme, alors voilà ce qu’il me faut. Fiche-moi la paix, lui avais-je crié mentalement, laisse-moi passer discrètement devant les vieux Cèdres injustement dénigrés, devant le Stand Café disparu, les Lupins et le Terrain d’antan, devant tout ce passé, car si je m’arrête, je vais me dissoudre en une flaque de larmes honteuses, c’est sûr. » 

  

Quelle belle immersion au pays de l’enfance, de la perte et du deuil, des réminiscences et de la nostalgie, de l’euphorie, de la « dégringolade inquiétante » mais salvatrice. Un homme souffre. Il boit pour la consolation et la force de l’oubli éthylique. Un jour, il reviendra de ce temps passé, sortira de la mer et marchera vers le large. Car la vie est devant... 

 

« Le silence autour de moi est aussi écrasant que la mer. »

27 juillet 2016 3 27 /07 /juillet /2016 23:42
Le sorcier vert - Valentine Goby et Muriel Kerba

« En fait, l’histoire de mon père est celle d’un type qui trouve une fonction à sa photographie, qui va trop loin, qui craque, et qui, obligé de se réinventer, le fait d’une façon qui engendre beaucoup d’espoir »

 

(Juliano Ribeiro Salgado, le fils de Sebastião Salgado)

 

L’idée créatrice des éditions Thierry Magnier, en s’associant à la Galerie Robillard, était de créer des histoires à partir d’illustrations – et non pas le contraire, comme il nous est la plupart du temps donné de le voir. Ainsi, dans Le sorcier vert, une fois le travail de Muriel Kerba achevé, entre coups de crayons, pastels, acrylique, manipulations de papier et de matière,  Valentyne Goby s’est vue confier ces images dans le but de les « raconter ». Émue par les quinze ans d’efforts qu’a déployé Sebastião Salgado à replanter la forêt atlantique brésilienne, elle a fait naître à partir d’illustrations une histoire hors du commun.

 

Quand Salgado revient chez lui après plusieurs années d’exil, il ne reste plus rien de la forêt de son enfance. Plus rien. Le spectacle est désolant. Où sont-ils donc passés les arbres majestueux, les chênes perobas, les jequitibas, le pau-Brasil à fleurs d’or? Où s’est caché le bétail? Et les sources gorgées d’eau? Depuis des dizaines d’années, en se modernisant, les hommes ont tout détruit. Avec l’argent, ils ont saccagé les richesses naturelles et fait mourir les bêtes qui n’avaient plus rien à paître.

 

« L’air brûlant tremble comme un voile d’eau, et floute la terre ocre à perte de vue. Pas un cliquetis d’insecte. Pas un cri d’oiseau. De la poussière et du silence. »

 

Avec Gabriella, son amie d’enfance, et aidés de quelques hommes, il décide de replanter la forêt, fort de son engagement écologique, et pallier ainsi à la négligence des hommes. Sebastião Salgado a fait le tour du monde. Il a connu les froids extrêmes et les vents les plus violents de la Patagonie. Mais planter, il ne sait pas. Il apprendra, comme il l’a fait avec la photographie. Rien ne fera reculer l’un des plus grands photographes humanistes. Il apprivoisera la terre comme il a apprivoisé les hommes…

 

« Aux villageois, il raconte l’histoire de la tortue des Îles Galápagos qu’il a mis une semaine à photographier. Chaque fois qu’il s’avançait elle rentrait la tête. Après deux cents ans de solitude, il fallait l’apprivoiser. »

 

La forêt s’est mise à naître, les animaux sont venus la peupler – plus de quatre cents espèces - et les oiseaux sont revenus. Trois millions d’arbres ont poussé. Maintenant…

 

« Comment faire pour que des arbres debout permettent aux hommes de vivre mieux que s’ils sont coupés? »

 

J’admire le travail de Sebastião Salgado. Son œuvre photographique m’émeut, me transperce au-delà des mots. Notre planète a besoin de ces philanthropes portés vers la nature humaine pour venir à bout de ce que les hommes détruisent à coup de haine et d’insouciance. Il a marché sur les pas des survivants, il les a accompagnés dans les guerres, les famines, les exodes, les génocides. Il a ce désir au fond des tripes de conscientiser les hommes à toutes formes de misère et d’exclusions, pour que jamais nous n’oubliions…  

 

« Plus que jamais, je sens que la race humaine est une. Au-delà des différences de couleur, de langue, de culture et de possibilités, les sentiments et les réactions de chacun sont identiques. Les gens fuient les guerres pour échapper à la mort ; ils émigrent pour améliorer leur sort ; ils se forgent de nouvelles existences dans des pays étrangers : ils s'adaptent aux pires situations… » Exodes - 2002 

 

 

Un grand merci à toi Jérôme pour ce cadeau. J’ai marché sur les traces du « Sorcier vert » avec le plaisir retrouvé de son photo-documentaire Le Sel de la terre. J’en suis ressortie les larmes aux yeux… 

Le sorcier vert - Valentine Goby et Muriel Kerba
Le sorcier vert - Valentine Goby et Muriel Kerba
25 juillet 2016 1 25 /07 /juillet /2016 15:19
Falaises - Olivier Adam

« Ici la nuit est profonde et noire comme le monde. »

 

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« J’ai trente et un ans et ma vie commence. Je n’ai pas d’enfance. »

 

Étretat, chambre 103 de l’Hôtel des Corsaires. L’auteur passe ses nuits sur le balcon ayant vue sur la falaise. Il se souvient avec douleur de l’année de ses onze ans. Sa mère venait de passer six mois en internement psychiatrique. Six mois sans la voir. Et ce jour-là, encore plus douloureux, ce moment inquiet de la revoir, de la ramener à la maison, petite femme fragile dans un corps sans vie. Quand de la fenêtre de la voiture il la vit s’avancer, lasse, une cigarette à la main et le regard absent. Et que pas même elle ne s’est retournée pour le regarder. Geste d’amour avorté dans un élan d’impuissance. Un trou béant en plein cœur de l’enfance. Puis sa main s’est refermée dans la sienne, sans dire un mot. L’auteur se souvient…

 

« Des années qui précèdent la mort de la mère, je ne garde qu’un flot brumeux d’images qui pour la plupart sentent la pluie et la terre mouillée. »

 

Il se souvient de ce jour-là, quand la voiture a roulé vers Étretat. Avec son père et son frère, ils voulaient lui offrir la fraîcheur des embruns salés, la mer à perte de vue, l’immensité de la falaise qui la surplombe ; un phare dans la nuit de sa quête. Mais elle est restée dans sa chambre… lire un peu, dormir beaucoup. Jusqu’à la troisième nuit où elle s’est levée. Elle a longé la mer jusqu’au pied de la falaise. Là où la muraille de pierre plonge dans le vide absolu. Un pas de plus, un pas de trop. Elle s’est jetée dans le vide, avalée par les eaux. L’auteur se souvient... Comment oublier?

 

« Les falaises se découpent dans le tissu du ciel. J’y contemple des fantômes, des corps chutant dans la lumière. Je me retourne et sur la vitre se reflètent mon visage usé, mes traits tirés, prématurément vieillis. »

 

Comment oublier une enfance vulnérable entre les crises de larmes et les enfermements de sa mère? Ses angoisses, ses dépressions et ses fragilités. Son manque de tendresse et ses silences. Comment oublier l’insécurité et les nuits de solitude? Sinon que les noyer dans une adolescence anesthésiée par les sédatifs. Sa mère, un pas de trop, un pas dans le vide. Et ses pas à lui, marchants aux côtés de son frère, beaucoup plus tard, en dehors du monde, hors du temps. Une complicité comme une bouée de sauvetage. Noyer les heures dans l’alcool, le sexe, quelques lignes de coke. Sans négliger d’oublier ce père dont on se serait bien passé…

 

« Je suis une nuit noire, une bordure de falaise, une vie noyée, avec vue sur le vide et sans vertige. »

 

Avec Falaises, Olivier Adam m’a flanqué une vraie gifle en pleine face. J’ai marché dans les pas de son histoire comme une funambule suspendue à la ligne mince et distendue de son enfance. Témoin du tragique, mais avec le respect des distances qui s’imposent. Son univers est vaste, il a la beauté d’avoir fleuri des épines du mal. Il nous rappelle que de tous deuils l’âme a la force de se relever. Le mal est fait mais la vie est devant. Au-delà des falaises….

 

"J'ai trente-et-un ans et peu importe. Je sais le poids des morts. Et je sais le mauvais sort. Je sais la perte et le saccage, le goût du sang, les années perdues et celles qui coulent entre les doigts. Je connais la profondeur des sables, j'en ai éprouvé la résistance, la matière meuble, équivoque. Je sais que rien n'est fiable, que tout se défait, se fissure et se brise, que tout fane et que tout meurt. La vie abîme les vivants et personne, jamais, ne recolle les morceaux, ni ne les ramasse."

 

L'avis grenouillesque

 

Et les Bisonnesques : Je vais bien, ne t'en fais pas - Des vents contraires - Peine perdue - À l'ouest

Falaises - Olivier Adam
24 juin 2016 5 24 /06 /juin /2016 10:13
Pardonnable, impardonnable - Valérie Tong Cuong

« Ce n’est pas la manière dont les choses arrivent qui comptent, c’est la raison pour laquelle elles se produisent »

 

C’est arrivé comme ça, bêtement. D’ailleurs, c’est toujours bête ce genre d’accident. Puis on se croit à l’abri des souffrances qu’il dépose en nous. On pense que ça n’arrive qu’aux autres, que la vie ne peut pas basculer ainsi du jour au lendemain, d’une seconde à l’autre, cette douloureuse seconde de l’impact. Ce jour-là, Milo avait été confié à sa tante Marguerite qui devait l’accompagner dans un travail scolaire sur l’Antiquité. Mais ils auraient pris leur vélo, une distraction, une envie subite, spontanée, un besoin de souffler avant de retourner vers l’Antiquité. On dit qu’il aurait voulu cueillir un bouquet de fleurs pour sa mère. Enfin, c’est ce qu’on dit. Parce que dans ce genre d’histoire on ne sait jamais tout à fait les motivations qui se cachent derrière l’« Événement », on ne connait que le désastre…

 

« L’ivresse de la descente, un virage, et c’est la chute »

« Pardonnable, impardonnable » ?

 

Milo, 12 ans, est plongé dans le coma. Ses petites mains sont inertes, il a reçu un violent coup à la tête. Traumatisme crânien. Ses parents arriveront-ils seulement à pardonner à Marguerite ? Parce qu’il faut forcément un coupable quand la vie s’écroule. Vient ensuite les regrets, mais bien avant il y aura la suite d’événements précurseurs, les interminables « si » de la réaction en chaîne jusqu’au choc. La douleur de l’attente, l’incertitude qui tue à petit feu. La peur qu’il souffre, qu’il abandonne, et l’envie d’avoir mal à sa place. Et Marguerite… celle sur qui tout repose, l’éternelle souffre douleur de la famille. Le mouton noir détestée de sa mère, rejetée de sa sœur, humiliée par son beau-frère mais profondément adorée de Milo. On refuse qu’il la voit et pourtant, elle est son plus grand repère affectif, il a besoin d’elle. D’aussi loin qu’il soit, le petit la réclame, elle sera sa seule motivation à revenir d’un long sommeil…  

 

« Pardonnable, impardonnable » ?

 

Valérie Tong Cuong excelle à nous dresser le portrait d’une famille complètement dysfonctionnelle – à l’image de la plupart d’entre elles, on s’entend. On n’y va pas de main morte entre grosses méchancetés et petites vacheries, haine, jalousies, rancoeurs et manipulations. De vieilles blessures refont surface, les secrets sont mis à jour et chacun doit faire face, à sa manière. On recherche la vérité et on recherche l’amour. Le temps passe, une distance se crée, on se perd et on se retrouve. Mais nous sommes-nous vraiment quittés, hantés par la présence de l’autre?   

 

« Pardonnable, impardonnable »...

 

Milo est dans le coma, il faut d’abord tenir le cap, être forts. Et si on arrêtait de se faire la guerre au nom de notre amour pour lui ? On aura tout le temps après pour se dire le reste, et surtout se pardonner…

 

Un immense merci à toi ma précieuse Nadège pour ce merveilleux livre-cadeau qui avait été déposé sous mon sapin <3

 

Par la même occasion, je te souhaite un Joyeux Anniversaire !

Pardonnable, impardonnable - Valérie Tong Cuong
15 juin 2016 3 15 /06 /juin /2016 00:44

Ça pue la haine !

 

Depuis dimanche dernier, je n’arrive pas à trouver les mots pour exprimer la force de ma colère. Plus que de la rage, je ressens une profonde tristesse résignée face à la bousculade d’actes haineux qui frappe le monde. Cette haine inqualifiable dont certains hommes ou groupes se parent au profit de la vie et de la liberté d’être. Au nom du pouvoir et d’une vision étroite, pour ne pas dire «incarcérée» dans les prisons de l’intolérance. Sommes-nous à ce point incapables de vivre dans le respect des autres ? Dans le respect de toutes formes de liberté ? Dans le partage d’un monde qui, dans sa globalité, nous appartient à part égale ? Pffffff bien sûr que oui, ça pue la haine !

 

Les êtres humains atteignent sans trop de difficulté un niveau de mépris envers leurs semblables. Je pousserais même jusqu'à parler « d’arrogance » et là, loin de moi l’idée de vouloir faire dans la poésie, j’entends par arrogance ce dédain de l’autre, cette audace poussée à l’extrême limite d’en décider de la vie et de la mort d’autres personnes que de soi-même.

 

Avant Orlando, il ne suffit pas de retourner très loin en arrière pour réaliser que le monde ne tourne pas rond. Bruxelles, Paris, les Syriens, les migrants, les exodes, les génocides, les guerres, les famines, un certain 11 septembre, et puis quoi encore ?

 

On est hétérosexuel ou homosexuel, on est blanc ou noir, on est juif ou musulman, riche ou pauvre, qu’est-ce que ça change ?

 

Dans quel monde de fous vivons-nous ?

 

***********************************

 

Éric-Emmanuel Schmitt a trouvé les mots justes, ceux qui sont là pour nous amener à réfléchir et se conscientiser sur l’ampleur du drame qui se joue. Je me dis que l’homme sensible qu’il est doit forcément être ébranlé dans ses fondements les plus profonds.

 

« nous resterons droits, debout, fiers, du côté de la vie »

 

Bravo Monsieur Schmitt <3

 

MASSACRE À ORLANDO

 

Comme vous, sans doute, je ne sais plus quelle horreur commenter ! Il s’en produit tous les jours et il ne faudrait surtout pas considérer qu’en choisir une revient à ignorer les autres.
La lâche, stupide et monstrueuse fusillade d’Orlando, ce dimanche, dans un club gay et lesbien m’a laissé sans voix. Un forcené a tué une cinquantaine d’individus qui dansaient, chantaient, buvaient, s’amusaient, tant le bonheur des autres lui était insupportable — voire le bonheur tout court. Il a abattu des gens qui avaient dû se battre, et devront se battre encore, pour obtenir des droits civiques. Il a massacré des combattants pour la liberté, mais à un moment où ils étaient sans armes, bien sûr…
C’est une attaque contre la liberté elle-même, pas seulement contre une communauté sexuelle. De même que l’attentat de Charlie Hebdo ne visait pas uniquement des dessinateurs, de même l’attentat d’Orlando ne cible pas que l’homosexualité : il veut supprimer un monde où vivent ensemble et harmonieusement des gens extrêmement différents, des athées, des juifs, des chrétiens, des musulmans, des bouddhistes, avec des peaux blanches, brunes, noires ou jaunes. Refus de la complexité, refus de la nature, refus de l’humanité.
Le club d’Orlando s’appelait Pulse, c’est-à-dire Pulsion. Il désignait une pulsion de vie. Il a été détruit par une pulsion de mort.
Mais nous resterons droits, debout, fiers, du côté de la vie. Le combat contre la bêtise a commencé avant nous et se poursuivra après nous. Faisons notre part, mes amis.

 

Éric-Emmanuel Schmitt

Orlando ou « Les prisons de l’intolérance »
Orlando ou « Les prisons de l’intolérance »
12 juin 2016 7 12 /06 /juin /2016 14:44
Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson

Jusqu’à quel point est-il possible de mourir à cause des mots, pour les vers d’un poème?

 

« S’en vient le soir

Qui pose sa capuche

Emplie d’ombre

Sur toute chose,

Tombe le silence »

 

Bardur et un groupe de pêcheurs islandais s’étaient rendus au baraquement juste avant la nuit. Ils s’étaient assurés de bien appâter les lignes, de prendre avec eux vareuses, chandails et bonnets de laine. Mais le froid glacial de mars ne pardonne pas, il vous transperce avant de vous faire mourir à petit feu. Sur les eaux glacées du froid polaire, une simple barque de pêcheurs est un mince refuge face aux vents violents du Nord, surtout quand la tempête se lève et que le ciel déverse sa colère. Que la rage des vagues vous submerge et que vos pieds sont mouillés. Que vous ne savez pas nager. Et que vous avez oublié votre vareuse, comme Bardur, parce que les vers du Paradis perdu de Milton, le poète aveugle, se sont insérés dans les fissures de votre âme, plus forts encore que votre instinct de survie.

 

« Il est des poèmes qui changent votre journée, votre nuit, votre vie. Il en est qui vous mènent à l’oubli, vous oubliez votre tristesse, votre désespoir, votre vareuse, le froid s’approche de vous… »

 

Peut-on seulement s’imaginer jusqu’à quel point les mots sont assez puissants pour toucher le cœur des hommes et changer le cours d’une vie? Bardur est mort en mer par un jour de tempête. Son meilleur ami, le gamin, a tenté de réchauffer ses membres qui s’engourdissaient en lui frappant le corps. La peur s’est installée, les forces lui ont manquées, il s’est recroquevillé au fond de la barque et s’est laissé mourir de froid. La vie n’a pas tenu le coup face aux rimes…   

 

« Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d’autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. » 

 

Enfoncé dans la neige jusqu’aux genoux, submergé par l’incertitude et anesthésié par la peine, le gamin entreprend un voyage pour rendre à son propriétaire le recueil de poèmes qui a donné la mort à son ami. Après, il aura tout le temps de décider s’il veut vivre ou non…

 

Comme lectrice affamée de nature, c’est au moment de la traversée que j’ai revécu l’Islande des glaciers, celle que j’ai l’impression de toucher encore du bout de mes doigts. Celle des fjords et des vallées, des falaises qui surplombent la mer, celle des volcans, des cratères, des chutes et des grandes étendues de terre. Celle du sommet des montagnes dans le lit des nuages, là où se perd la ligne d’horizon et où le monde prend fin. Je n’ai « jamais été aussi près du ciel » que dans ce 66ème parallèle nord. Les paysages de l’Islande sont une incitation à devenir poète, à réciter Le Paradis perdu de Milton…  

 

« Celui qui marche un long moment seul dans une tempête de neige qui jamais ne retombe est peu à peu saisi de l’impression qu’il est sorti du monde, qu’il avance dans un désert loin des hommes. »

 

Jon Kalman Stefansson est un magicien des mots. Ses réflexions sur la vie et la mort nous amènent à nous questionner sur l’existence ; son but et ses fondements, ce que nous laissons derrière nous une fois partis. Rien ne peut égaler en souffrance la cruauté des hommes, ni leur mépris, encore moins leur lâcheté. Ce monde dans lequel nous vivons nous confronte sans cesse à l’ « autre », et à l’image d’une nature où les éléments se déchaînent, nous sommes bien petits face à la menace. Mais les forces de l’amour et de l’amitié seront toujours vainqueurs. Dans le poids de l’absence, elles triomphent du vide et de la solitude. Peut-être en partie parce qu’elles nous renvoient le symbole de notre propre liberté…

 

« Les rêves nous libèrent parfois des amarres de la vie. Ils sont tel un soleil dans les coulisses du monde. »

 

Un immense merci à toi ma précieuse Lili de m'avoir fait découvrir ce grand auteur, et par le fait même d'être retournée voyager avec toi au pays des fuzzy... :-*

 

Les magnifiques billets de Nadège et Eeguab

Et celui du Bison, tout aussi MAGNIFIQUE!  

Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson
Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson
Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson
Entre ciel et terre (tome 1) - Jón Kalman Stefánsson

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