J'ai pour toi un lac quelque part au monde
Un beau lac tout bleu
Comme un oeil ouvert sur la nuit profonde
Un cristal frileux
Qui tremble à ton nom comme tremble feuille
À brise d'automne et chanson d'hiver
S'y mire le temps, s'y meurent et s'y cueillent
Mes jours à l'endroit, mes nuits à l'envers.
J'ai pour toi, très loin
Une promenade sur un sable doux
Des milliers de pas sans bruits, sans parade
Vers on ne sait où
Et les doigts du vent des saisons entières
Y ont dessiné comme sur nos fronts
Les vagues du jour fendues des croisières
Des beaux naufragés que nous y ferons.
J'ai pour toi défait
Mais refait sans cesse les mille châteaux
D'un nuage aimé qui pour ma princesse
Se ferait bateau
Se ferait pommier, se ferait couronne
Se ferait panier plein de fruits vermeils
Et moi je serai celui qui te donne
La terre et la lune avec le soleil.
J'ai pour toi l'amour quelque part au monde
Ne le laisse pas se perdre à la ronde.
Lever du soleil : 7h10 | Coucher du soleil : 19h25
Décalage horaire : +5 heures
Météo : 17° C, pluie
Latitude : 53.349805 | Longitude : -6.260310
Musique : I still haven't found what I'm looking for - U2
Un Verre au Comptoir : Murphy's Draught, tablette de préférence
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« Imaginer que l’on tombe de très haut. Sans affolement. Imaginer que l’on contemple la vue en tombant, pendant que le corps tournoie doucement dans l’air. On n’entend que le son de sa progression. Sa propre progression. Imaginer que tomber de très haut est une progression. Une chose qui en vaut la peine. Même si ce n’est pas une chose à conseiller. On ne fait rien. On se contente de laisser faire. Imaginer le sol tout à coup, la détente. L’arrêt. »
Bam ! Je claque la porte. Une urgence sérieuse. Je descends en quatrième vitesse, les escaliers en bois craquent sous mon poids. Je m’essouffle, mais c’est le lot de toute urgence dans ce métier. Le ciel est noir, des tonneaux de nuages prêt à déverser ses hectolitres de pluie glacée. Peu importe, de toute façon, la pluie, une vieille habitude dans ces ruelles de Galway qui sentent aussi bon la pisse que la gerbe de Guinness. Mais je ne suis pas là pour jouer les touristes, je l’ai déjà dit, l’urgence urgente, comme lorsque ta vessie est pleine craquer et que devant le seul lampadaire de la rue une mémère fait pisser son clébard fripé. Les néons d’un bar ne prennent même plus la peine de clignoter, usés par le temps et le vent. Je m’engouffre, l’imperméable du privé trempé, le regard triste d’un chien mouillé, dans l’antre sombre. Je jette un regard, genre mauvais, au barman, un dénommé Rufus, qui m’apporte avec toute la nonchalance qui sied à un barman, ma pinte de Guinness tapissée de sa mousse crémeuse, et un shot de Jameson, pour réchauffer mes vieux os, fourbus par le temps, mouillé et séculaire. J’allais être en manque, un irlandais sans sa pinte manquerait cruellement de classe. L’urgence s’efface quand je trempe mes lèvres.
Hurlement du vent, les volets claquent. Claque la porte. La peur s’immisce tel un couteau affûté dans un morceau de chair. Le rythme cardiaque s’accélère, éclatement de verre, une femme se brise. Mille éclats dans la nuit noire. Elle entend ses mots, maux maudits qui déchirent le ciel. Elle reçoit ses coups, coups de poing lâches et méprisants. Une envie de vomir, la bile qui remonte à la surface, reflux de souvenirs haineux. Mauvaise pente. Et c’est l’exil...
Bourrasques de vent, longue route étroite. Grace accélère, à fond la caisse elle ne voit plus que le bout du tunnel, des éclats de lumière dans une vie qui renaît. C’est le choc, une odeur d’Irlande après des jours de pluie. Elle fuie Monaghan, parce qu’il faut fuir, surtout ne pas rester, les souvenirs sont trop lourds, aussi douloureux que l’homme qu’elle a laissé derrière elle, gisant sur le bitume. À défaut de pouvoir se noyer l’âme à la bonne vieille taverne chez Rufus, elle entre dans un pub irlandais, commande une pinte de Murphy Draught – le stock de Guinness ayant souffert du passage d’un Bison. Martin est là, ce fils avec qui elle partage de lourds secrets. Il faut du temps pour se ré apprivoiser et comprendre qu’il n’y aura que ce même temps pour accepter l’idée que les choses ont changées, que l’on a soi-même changé. Que le regard sur la vie n’est plus pareil, ni sur les autres ni même sur soi. Mais que l’ancrage qui résiste aux intempéries est fait de souvenirs communs et d’amour. Il faut du temps pour apprendre à revivre...
Le lieu, sous une pénombre à peine travaillée, devient un bouge de la solitude. Je me sens las, la bière à la main. Une musique au fond. A droite, les toilettes. A une table, le regard perdu, le rimmel coulé, une blonde devant sa bière brune. Le pub en milieu de matinée est le repaire des gens perdus. Pas de chaleur humaine, on y va pour sentir la solitude, celle du pauvre type alcoolique ou celle de la femme battue par son mari. Le rimmel qui coule n’est que le masque des larmes d’une vie. Je m’avance pour m’asseoir à sa table. Ma route dévie au dernier moment vers la porte de sortie. Pas d’humeur à l’accabler de la tristesse d’un type ruisselant de pluie et de dégoût. Les gens tristes ne se mêlent pas aux autres, la tristesse étant une maladie d’une contagion fulgurante. De toute façon, j’ai une autre affaire. Le genre d’affaire qui nécessite de me replonger dans un autre pub, encore plus vieux, encore plus sombre, encore plus triste, le genre à servir de la Guinness sans qu’on ait besoin de demander, parce que le barman connait son métier, ses remèdes contre la mélancolie d’un type comme moi. D’ailleurs, je ne me souviens même plus pourquoi j’ai été engagé. Retrouver un tueur ou une nana, l’assassin d’une nana ou son violeur, ou le mari de cette nana qui la prend pour un punching-ball et à qui je dois lui faire passer un message, du genre coup de batte dans les couilles, si tu me suis… Ou une mère qui pleure le suicide de sa fille qui ne s’est pas noyée « seule ». Sauf que je m’en fous un peu, je traine dans les pubs, toujours plus esseulés. D’ailleurs, je l’ai toujours dit, je ne suis pas Jack Taylor pour ses enquêtes, mais pour ses délires alcoolisés, ses vues solitaires dans les bouges de Galway, ses références littéraires, et surtout ses pintes de Guinness et de Murphy’s Draught qui coulent à flot, comme toute bonne littérature irlandaise.
Face au comptoir, il y a ce grand miroir que je ne peux regarder. Voir cette sombre face qui m’anime est d’un dégoût total. Même si par le truchement de ses reflets, je découvre cette brune, aussi brune que les parfums roux de l’Irlande. Elle est là, assise à la table voisine, l’air hagard, devant sa blonde. Dans la mousse de sa bière, elle voit défiler le temps comme autant de souvenirs douloureux, l’ivresse sans fin d’une âme meurtrie, partant à la recherche de soi-même. L’exil est fait d’embûches. Il faut s’efforcer sans cesse de ne regarder derrière faute de quoi nos pas s’affaiblissent, le rythme décélère et il ne reste plus, au fond du verre, qu’une seule goutte d’espoir. Alors garder le cap. Se dire que ce qui lie une mère à son fils ce sont les souvenirs communs et l’amour. En dépit de son mépris, à lui, de ses rejets, ses colères, ses incompréhensions. Avant tout, pardonner...
Sifflement du vent, mains glacées dans les eaux de l’hiver. Un enfant s’est noyé. Il est injuste de mourir à l’instant même où tes yeux croisent le regard des étoiles. Elles sont pourtant si lumineuses, elles auraient dû t’indiquer le chemin à prendre, ou celui à éviter. Entre collines et falaises, le clapotis de l’eau, les sons, les odeurs et les étés dans le lac. Le hurlement du vent qui fait claquer les volets...
J’ai fui Monaghan avec Grace et je me suis surprise à emprunter les pas de son histoire. J’ai fui l’amour la vie avec Jack Taylor et je me suis noyé dans l’âme de la Guinness, sombrant dans la poussière de ma putain de vie.
Alors ma Québécoise, toi qui es aussi lumineuse qu'un rayon de soleil, qu'as-tu pensé de cet Arc-en-ciel ? As-tu entendu le bruissement des feuilles du vieux chêne et le coassement de la grenouille ? Que t'as inspiré ce deuxième roman graphique de Mathieu Siam ?
Lorsque je ferme les yeux, l'auteur fait naître en moi, par ses mots et images, des "couleurs flamboyantes" qui fascinent mon imaginaire.
Je vois ce vieux chêne, porteur de solitude, et mon coeur se heurte à ses craquements...
Ses cent ans...
En fermant les yeux, je vois Rainette, alliage doux de jaune et de bleu. Je découvre la vie sous son regard.
L'écho d'un miroir...
Et si nous fermions les yeux pour mieux voir...
Ce que m'inspire Mathieu Siam?
Un univers vaste à découvrir...
Le son des métaphores et le goût incolore de l'eau.
La mémoire qui s'éveille, la richesse des rides.
Il m'inspire la vie qui s'insuffle en toutes choses. La fleur éclose...
Un arc-en-ciel de poésie donc...
La poésie de l'instant, les couleurs du temps...
Celles des étoiles et celles de l'amitié, mille couleurs portées par le vent.
Les essences du soleil, l'arc-en-ciel de la nuit ; l'envol des oiseaux, libres comme le matin.
Ces couleurs dans ta main...
Ferme les yeux.
Tu verras ce Vieux Chêne, à jamais..
Je ferme les yeux. Tes mots se mêlent ceux de l’auteur, à ses dessins, et l’arc-en-ciel de poésie devient arc-en-ciel d’émotions… Merci.
"Regarde cette goutte. Si tu la perces, tu verras... que dans un gros chagrin on peut cacher mille copains."
Rendez-vous dans quelque temps pour les prochains blablas de manU et Nad !
Merci mon sweet kinG pour ce merveilleux cadeau Arc-en-ciel <3
Des hélices Astrojet, Whisperjet, Clipperjet, Turbo A propos chu pas rendu chez Sophie Qui a pris l'avion St-Esprit de Duplessis Sans m'avertir
Alors chu r'parti Sur Québec Air Transworld, Nord-East, Eastern, Western Puis Pan-American Mais ché pu où chu rendu
J'ai été Au sud du sud au soleil bleu blanc rouge Les palmiers et les cocotiers glacés Dans les pôles aux esquimaux bronzés Qui tricotent des ceintures fléchés farcies Et toujours ma Sophie qui venait de partir
Partie sur Québec Air Transworld, Nord-East, Eastern, Western Puis Pan-American Mais ché pu où chu rendu
Y avait même, y avait même une compagnie Qui engageait des pigeons Qui volaient en dedans et qui faisaient le ballant Pour la tenir dans le vent C'était absolument, absolument Absolument très salissant
Alors chu r'partie Sur Québec Air Transworld, Nord-East, Eastern, Western Puis Pan-American Mais ché pu où chu rendu
Ma Sophie, ma Sophie à moi A pris une compagnie Qui volait sur des tapis de Turquie C'est plus parti Et moi, et moi, à propos, et moi Chu rendu à dos de chameau
Je préfère Mon Québec Air Transworld, Nord-East, Eastern, Western Puis Pan américan Mais ché pu où chu rendu
Et j'ai fait une chute Une kriss de chute en parachute Et j'ai retrouvé ma Sophie Elle était dans mon lit Avec mon meilleur ami Et surtout mon pot de biscuits
Que j'avais ramassé Sur Québec Air Transworld, Nord-East, Eastern, Western Puis Pan-American Mais ché pu où chu rendu
Ça fait bien une éternité qu’on n’a pas blablaté mon sweet kinG ! Qu’est-ce que ça m’avait manquée… Alors « La femme aux cartes postales » ? Tu l’as aimée ? Je me suis tellement attachée à cette Rose et son tragique destin, femme forte et fragile fraîchement débarquée de sa Gaspésie natale pour se retrouver au cœur de la métropole au milieu des années 50. Années où le Jazz est en pleine effervescence. Témoin de ses déambulations, je revisite le Montréal d’autrefois et je suis conquise… J’embarque dans un tramway direction rue Ontario. Je croise le Rockhead Paradise. Et je me surprends à m’exprimer à voix haute : « crisse » ! Rufus Rockhead, ce bon vieux tavernier… Je lève mon verre à sa santé. Et si on s’envoyait une carte postale?
Si je l’ai aimée ? Je l’ai adoré oui ! Au moins 4 fois que je relis son histoire, elle est tellement attachante cette Rosie avec ses rêves plein la tête. Son envie de quitter son village, ses rêves de scènes, de cabarets et une fois dans la place, sa crainte de passer pour « une habitante ». J’ai aimé cette ambiance pleine de fièvre entre jazz, fêtes et jeux. Et puis cette amusante habitude qu’elle a prise de s’envoyer des cartes postales, comme elle aurait pu religieusement écrire dans son journal intime, comme on alimenterait aujourd’hui son blog ou sa page. Et évidemment, par-dessus tout, j’ai adoré « entendre » cet accent québécois qui me manque tant ! :)
Tu l’as lue 4 fois ? Ah ben mautadine ! J’ose à peine te demander pourquoi… (^^) S’envoyer des cartes postales c’est en effet plutôt amusant, une idée qui ne m’a encore jamais traversé l’esprit. J’pense encore préférer qu’elles survolent l’Atlantique vers les marais à grenouilles. D’ailleurs, à quand remonte la dernière ? Elle doit reposer à l’heure qu’il est dans une boîte aux lettres… carte postale représentant les maisons colorées de la métropole. Rosie les a connues, rue St-Hubert… C’était avant ou après la défaite du maire Drapeau en 57. Je ne sais plus… À cette époque, de grands noms résonnaient dans la ville, Dominique Michel, Guy Lafleur, Pauline Julien. Et ce cher ami, Rufus. Rufus Rockhead… J’me demande si son oreille musicale s’était adaptée à l’accent d’ici ? Bonyeux… j’ai une carte postale à terminer, je te reviens…
Entre présent et passé, entre quête de soi et quête des origines, elle est touchante et inattendue l’histoire de Rosie. Et en plus de m’avoir fait « entendre » l’accent québécois, elle a fait surgir en moi les couleurs chatoyante d’une vie pas comme les autres, malgré le noir et blanc de ses illustrations. Rosie, une femme belle, incroyable, avec un tempérament de feu, inoubliable, une québécoise quoi ! ;)
*[Rufus Rockhead : Homme d'affaires (tavernier) né en 1899 en Jamaïque. Achète une taverne sur la rue Saint-Antoine de Montréal en 1928 et y crée le plus réputé club de nuit de Montréal qui présente les plus grands noms du jazz, du rythm and blues et de soul tels Oscar Peterson, Billie Holliday, Redd Fox, Ella Fitzgerald, Sammy Davis et Louis Armstrong. Décès en 1981.]
Merci pour tout mon sweet kinG des marais. Merci d'être un Ami aussi formidable. Tu sais que j't'aime fort toé <3
Rendez-vous dans quelque temps pour les prochains blablas demanUet Nad !
Un Verre au Comptoir, toujours le choix du tavernier : Pisco Sour (extra Pisco)
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« Les hauts sommets de la planète sont riches en légendes ; telles des gouttes perdues, elles voyagent sur les nuages, les glaciers, les filets d’eau ou de lumière qui s’infiltrent silencieusement dans les veines de la terre ; elles franchissent les océans et leurs reflets brillent comme autant de miroirs illusoires de la geste de l’homme ou des dieux. »
Le vent fouette le visage des marins affairés sur le pont à relever l’ancre. Des gueules burinées par le soleil du profond sud et le froid des grandeurs extrêmes. A son bord, un vieux capitaine, la barbe grisonnante, le regard toujours perdu dans ses souvenirs d’antan. Tel un vieux loup de mer, je l’imagine me racontant des histoires de pêches et de pirateries. Un regard qui se lit comme un livre ouvert, des chapitres de vie et de mort. Il m’a accepté à son bord pour que je témoigne de son histoire, l’histoire de la fougue de l’Océan qui n’a rien de Pacifique et de la Patagonie. Pendant ce temps-là, la mer se déchaîne contre la coquille métallique qui me sert d’abri sommaire et presque éphémère, déverse toute son impétueuse haine, une écume blanche au bord de ses lèvres comme la bave d’un chien enragé, contre ma misérable existence.
Quand les bateaux quittent vers le large, ils laissent dans leur sillage un fracas de vagues – d’émotions fortes ou douces - houle dansante sur les falaises rongées par la mer. Des mille tempêtes au sommet du Cap Horn, des rafales de vent et de glace déséquilibrent le vol des caranchos. J’ai croisé ton capitaine, ce bon vieux loup de mer. Il m’a raconté l’histoire de Men Nar, la dernière Indienne Ona qui désormais ne quittera plus jamais mes pensées... Sa tribu venait d’être massacrée quand Esther et Riera le Pelé l’ont trouvée au pied d’une meule, une balle de Winchester plantée dans le talon. La jeune adolescente venait de parcourir quinze km de marche entre le cap Domingo et l’embouchure du fleuve. Les chasseurs d’Indiens l’avaient violée. Dans cet extrême austral du monde, la main de l’homme est aussi féroce que ses paysages laissent à rêver.
Quand les bateaux quittent vers le large, j’entends désormais dans leur sillage les échos de son cri perçant. J’entends la peur de ma jeune Indienne Ona... L’homme est l’animal le plus redoutable, de l’amour à la haine il n’y a parfois qu’une tempête qui sépare ces deux sentiments contradictoires, ou un naufrage. Trente-cinq jours sans voir la terre, pull rayé, mal rasé, cargo de nuit, la violence des âmes débarquent, assoiffées, avinées, pour se vider, change de port poupée.
Après trois jours et trois nuits, les déferlantes s’assagissent, l’horizon s’aplanit, le soleil refait surface d’outre-tombe. La mer change ses couleurs. Du noir profond, elle se projette bleu azur avant de virer au rouge carmin. Du rouge et du sang. Une nappe de sang et d’entrailles s’invite autour des bateaux. La chasse à la baleine est un honneur. Massacre à la tronçonneuse. Et aux harpons. L’odeur de chair et de graisse devient écœurante, je ne sens même plus le parfum iodé de la brise. J’ai envie de gerber, pas le roulis, pas la bouteille de whisky, juste cette vision d’horreur et de massacre. Sang rouge, sang bleu, la mer devient un océan rouge profond, d’un sombre aussi noir que l’âme de ces marins.
Le vent fouette le visage des marins affairés sur le pont à relever l’ancre. Après trente-cinq jours sans voir la terre ferme, ils ont soif d’alcool, ils ont soif de sexe, d’amour, de chair. Le tavernier du coin en fait son affaire, entre deux airs de jazz - hey Rufus ! J’te prendrais bien une p’tite frette ! Il faut oublier l’odeur des baleines mortes, mais non pas leurs souffrances. Lorsque j’évoque le souvenir de mon Indienne Ona, Men Nar, « Ombre de sang », je me dis que la Terre est peuplée de gens qui font de la mémoire cette faculté qui oublie le mal que l’on a fait subir à son prochain. Avant que les massacres barbares ne commencent, elle parcourait librement la Terre de Feu, entre vagues de cristal et iceberg, savourant à la nuit tombée un ragoût de bandurria - de l’éléphant de mer. On raconte que dans cet univers teinté de légendes, Men Nar serait fille de guanaco, le lama blanc sauvage symbole de liberté : El Guanaco. Son peuple y était intimement lié avant de disparaître. Avant l’arrivée des fusils, de la barbarie, du mépris et de la haine des hommes. Et vous savez quoi ? Ça me donne envie de vomir de colère : fuck le blizzard ! Le blizzard patagonien des tempêtes de vent et de l’insouciance humaine.
Quand les bateaux quittent vers le large, ils laissent dans leur sillage non seulement un fracas de vagues, mais la mémoire de milliers d’innocents qui se heurte à ne sombrer sur les récifs de l’oubli. Si seulement j’avais pu m’asseoir avec ton bon vieux capitaine, un soir de lune bleue. J’aurais tellement aimé entendre, de sa voix, le cri solitaire des âmes emportées vers le large...
Nos lectures :
« Le Golfe des Peines » - Francisco Coloane (CLICKER)
Un Verre au Comptoir : Mezcal, un ver et quelques larves
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« Les paroles d’un poème ne recommencent à être, parfaites ou imparfaites, que lorsqu’elles coulent de nouveau, c’est-à-dire lorsqu’elles sont dites – dichas. Dicha et des-dicha (heur et malheur : bénédiction et malédiction) : le poème que je suis en train de traduire s’intitule El Desdichado, mais l’original français ne contient pas ce fantôme verbal de la langue espagnole, dans laquelle dire consiste non seulement à rompre le silence mais à exorciser le mal. »
Une odeur de soufre, un parfum de chair putréfiée. Je n’ose pas rentrer dans la pièce. J’ai rêvé d’une détonation cette nuit. Il s’est fait sauter le caisson, pressentiment sauvage, le bison de la nuit me l’a murmuré à l’oreille, comme d’autres susurrent à l’oreille des chevaux ou d’une brune dans le coït bestial. Tu n’échapperas pas à cette voix, ni toi, ni moi, le bison rode, et tu vois cette mare de sang, le corps gluant et puant de ton ami gisant sur le lino virant du blanc-poussière au sombre-carmin. Sombre karma que cette nuit.
Une odeur de femme, un parfum de paso doble sous la moiteur des robes. Pedro Infante et le crescendo d’une nuit charnelle dans l’abandon des sens. J’ai rêvé au Mexique des années 30, aux bordels et sa désinvolture, mais aussi à l’envers de son histoire, à toute sa violence, de Pancho Villa à la guerre des Cristeros. Qu’est devenu ce temps ? Un naufrage, une cité abandonnée. Un Bison rode rue Tacuba, un soir de nuit bleue - blue moon - n’ayant pas échappé à ce regard triste dans la vitrine. Elle semble lointaine, solitaire, visage impassible et énigmatique de la femme objet. Muse de chair ou carcasse sans âme ? Le Bison s’en saisit et la ramène chez lui. Dépouillée de ses vêtements, aussi nue que le ver au fond de sa Mezcal, le majeur en émoi. Doux karma que cette nuit.
« La violence de l'histoire du Mexique constitue un grand facteur de nivellement. Celui qui se trouve un jour à la cime se réveille le lendemain, si ce n'est dans l'abîme, en tous cas dans la plaine : le marais des classes moyennes dont la majeure partie s'est formée à partir des déchus appauvris d'aristocraties éphémères. »
Chambre 803 d’un motel, un aparté dans cette nuit, réflexion profonde pensée nocturne, le ver était-il plongé vivant dans la bouteille de Mezcal. Une légende urbaine parle également de vers suicidaires. Ou est-ce le bison qui lui a soufflé les derniers instants de la vie d’un ver ? La bouteille à moitié vide en évidence entre les oreillers du lit, draps défaits odeurs de baise taches de sperme, il se réfugie dans les souvenirs. Cette femme, son ami ... et l’amour ... Un trio de possédés, plongés dans la mort et les souvenirs, un tatouage à l’encre bleue d’un bison une seule aiguille, leurs destins sont liés, même dans la mort. Aucun moyen d’échapper la nuit au Bison bleu.
Un appart miteux que partagent deux hommes, à défaut d’un motel room 69 ou d’une quelconque chambre qui dégage des odeurs de poésie et de rêve, d’innocence surtout, de folie peut-être. Plus qu’un aparté dans cette nuit, elle est là, immobile, muette, ensorcelante. Est-ce un mirage ou la Mezcal avec son ver, noyade par ordonnance dans les abysses de l’agave bleue, ou encore dans son flot de larves avoisinantes. J’ai cru l’entendre pousser un soupir, sous la perfection de ses traits. Provocante, vêtue d’un peignoir chinois telle une invitée d’honneur, sans dessous, un fantasme parmi tant d’autres que semblent partager Tonio, Bernardo et le Bison. La Misérable, Vénus callipyge aux fesses rondes ... un quatuor de possédés. Draps défaits et tâches de sperme, mais il n’y aura de cette femme que l’odeur du passé, une robe de mariée à l’ancienne et un voile recouvrant son visage, des souliers de satin. Offerte au regard des passants rue Tacuba. Je m’échappe à son histoire pour rejoindre un Bison sous la nuit bleue et boire une Mezcal au nom de l’amour, celui rêvé, celui des souvenirs ou encore des fantasmes. Blue moon, j'ai le cœur tropical des nuits de tempête.
Le souffle de la tempête fait soulever les détritus d’une terre généreuse en poussiéreuse et en désespoir. Des vies abandonnées de tout espoir qui se résument d’ailleurs à des traces de spermes entre les cuisses de la Vénus callipyge, et à quelques poussières. Poussières d’âme et de gerbe, sous la lune d’un bleu délavé. Mêlées au vent, des trompettes mariachis sonnent, à deux pas de là, la fiesta, à moins que cela ne soit le glas. Car il t’est impossible d’échapper à la mort, à la tristesse, à l’amour déchu, à la fin d’une escale à Mexico. Le bison de la nuit oscillera toujours sur ton corps et te rappellera ton ami mort, un trou de calibre .22 dans la caboche, ça reste toujours moche. Putain de vie. Putain de bison, l’ombre menaçante du bison bleu ...
« La musique du boléro permettait à ces femmes rescapées de la campagne, exploitées de nouveau par la ville, d'exprimer leurs sentiments les plus intimes, vulgaires sans doute mais réprimés. »
Nos lectures :
« Le bison de la nuit » - Guillermo Arriaga (Clicker)
« Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf Stream »
Ernest Hemingway, Le Vieil Homme et la mer
J’ai nagé dans les grandes eaux du Gulf Stream en m’efforçant de garder la tête hors de l’eau, mais les courants marins ont eu raison de moi. Le souffle retenu, je me suis laissé emporter. Une attirance sans doute vers les profondeurs obscures, comme celles de l’âme qui recèlent tant de mystères... Ses courants ont des formes légères, des boucles, des volutes - danse fougueuse entre ciel et mer dont je m’abreuve corps et cœur à la source.
Suivant sa trajectoire, on dit du Gulf Stream qu’il quitte le golfe du Mexique par le détroit de Floride, entre Cuba et les Keys, pour remonter vers le nord le long de la côte américaine, piquer vers l’est à la hauteur du cap Hatteras (Caroline du Nord) et traverser l’Atlantique où il s’échoue. D’autres vous diront qu’il prend fin au sud du Grand Banc de Terre-Neuve. C’est peut-être là, l’été de mes 12 ans, que j’ai ressenti sa première chaleur, ses premiers remous, sa force et sa puissance alors que je croyais m’y noyer, emportée à jamais. Au fur et à mesure que ses courants remontent en latitude, les navires marchands qui s’y aventurent triplent leur vitesse de croisière. La chaleur de ses courants préserverait même la Norvège des grands froids. Vous savez quoi? Je m’y laisserais bien tourbillonner pour m’échouer quelque part, dans mes souvenirs d’enfance, tout près des bancs de Terre-Neuve où le sel iodé de la mer saurait me mener.
« La pratique des courants m’aura appris l’abandon, l’obstination et la ruse. Il était temps de rendre hommage à une telle générosité. »
J’ai nagé dans les eaux du Gulf Stream et au final, je me demande pourquoi je me suis efforcée de garder la tête hors de l’eau. Car dans son sillage sous-marin, j’y ai croisé des merveilles d’une beauté inestimable. J’ai suivi la route des tortues Luth de Guyane dans leur traversée de l’Atlantique. J’ai compris la dérive de vaisseaux abandonnés. Une bouteille lancée à la mer en 1837 au Cap Horn aurait été retrouvée vingt ans plus tard en Irlande. Quel message pouvait-elle contenir? Les mots que contiennent une bouteille échouée ne regardent que ceux qui les ont adressés. Ils sont dans le secret des eaux, pleurs de joie ou de tendresse, d’amour ou de détresse...
Que ses grands courants viennent du ciel, du soleil et de son rayonnement, qu’ils proviennent de l’anticyclone des Açores, de l’alizée ou de la lune, des eaux glacées du Labrador ou des banquises du Groenland, je ne rêve plus que de ce Gulf Stream. Nager dans ses eaux et me laisser dériver sur des vagues d’émotions fortes, abandonnée à ses bras marins. Seule au milieu de nulle part. Et rêvant qu'on m'y laisse...
« Il se trouve que, depuis l’enfance, j’aime d’amour les courants marins. J’aime ces fleuves cachés dans l’eau. J’aime me laisser happer et dériver : quelqu’un de fort, soudain, vous prend dans sa paume. Il n’y a qu’à se laisser porter… »
Merci Bisonpour cette escale dans les tourbillons du Gulf Stream. En route vers le Mexique... ;-)