Lieu : New-York
Lever du soleil : 7h10 | Coucher du soleil : 16h29
Décalage horaire : aucun
Météo : 2° C
Latitude : 40.7808 | Longitude : -73.9772
Musique : Hymn to Freedom - Oscar Peterson
Un Verre au Comptoir : La Fin du Monde
Lieu : New-York
Lever du soleil : 7h10 | Coucher du soleil : 16h29
Décalage horaire : aucun
Météo : 2° C
Latitude : 40.7808 | Longitude : -73.9772
Musique : Hymn to Freedom - Oscar Peterson
Un Verre au Comptoir : La Fin du Monde
Lieu : Patagonie Chilienne
Lever du soleil : 9h15 - Coucher du soleil : 18h03
Décalage horaire : + 1 heure
Météo : 4° ressentie 3°. Couvert. Faible pluie et neige mêlée
Latitude : -52.918628 | Longitude : -70.577160
Musique : Miles Davis (le choix de Rufus)
Un Verre au Comptoir, toujours le choix du tavernier : Pisco Sour (extra Pisco)
**************************
« Les hauts sommets de la planète sont riches en légendes ; telles des gouttes perdues, elles voyagent sur les nuages, les glaciers, les filets d’eau ou de lumière qui s’infiltrent silencieusement dans les veines de la terre ; elles franchissent les océans et leurs reflets brillent comme autant de miroirs illusoires de la geste de l’homme ou des dieux. »
Le vent fouette le visage des marins affairés sur le pont à relever l’ancre. Des gueules burinées par le soleil du profond sud et le froid des grandeurs extrêmes. A son bord, un vieux capitaine, la barbe grisonnante, le regard toujours perdu dans ses souvenirs d’antan. Tel un vieux loup de mer, je l’imagine me racontant des histoires de pêches et de pirateries. Un regard qui se lit comme un livre ouvert, des chapitres de vie et de mort. Il m’a accepté à son bord pour que je témoigne de son histoire, l’histoire de la fougue de l’Océan qui n’a rien de Pacifique et de la Patagonie. Pendant ce temps-là, la mer se déchaîne contre la coquille métallique qui me sert d’abri sommaire et presque éphémère, déverse toute son impétueuse haine, une écume blanche au bord de ses lèvres comme la bave d’un chien enragé, contre ma misérable existence.
Quand les bateaux quittent vers le large, ils laissent dans leur sillage un fracas de vagues – d’émotions fortes ou douces - houle dansante sur les falaises rongées par la mer. Des mille tempêtes au sommet du Cap Horn, des rafales de vent et de glace déséquilibrent le vol des caranchos. J’ai croisé ton capitaine, ce bon vieux loup de mer. Il m’a raconté l’histoire de Men Nar, la dernière Indienne Ona qui désormais ne quittera plus jamais mes pensées... Sa tribu venait d’être massacrée quand Esther et Riera le Pelé l’ont trouvée au pied d’une meule, une balle de Winchester plantée dans le talon. La jeune adolescente venait de parcourir quinze km de marche entre le cap Domingo et l’embouchure du fleuve. Les chasseurs d’Indiens l’avaient violée. Dans cet extrême austral du monde, la main de l’homme est aussi féroce que ses paysages laissent à rêver.
Quand les bateaux quittent vers le large, j’entends désormais dans leur sillage les échos de son cri perçant. J’entends la peur de ma jeune Indienne Ona... L’homme est l’animal le plus redoutable, de l’amour à la haine il n’y a parfois qu’une tempête qui sépare ces deux sentiments contradictoires, ou un naufrage. Trente-cinq jours sans voir la terre, pull rayé, mal rasé, cargo de nuit, la violence des âmes débarquent, assoiffées, avinées, pour se vider, change de port poupée.
Après trois jours et trois nuits, les déferlantes s’assagissent, l’horizon s’aplanit, le soleil refait surface d’outre-tombe. La mer change ses couleurs. Du noir profond, elle se projette bleu azur avant de virer au rouge carmin. Du rouge et du sang. Une nappe de sang et d’entrailles s’invite autour des bateaux. La chasse à la baleine est un honneur. Massacre à la tronçonneuse. Et aux harpons. L’odeur de chair et de graisse devient écœurante, je ne sens même plus le parfum iodé de la brise. J’ai envie de gerber, pas le roulis, pas la bouteille de whisky, juste cette vision d’horreur et de massacre. Sang rouge, sang bleu, la mer devient un océan rouge profond, d’un sombre aussi noir que l’âme de ces marins.
Le vent fouette le visage des marins affairés sur le pont à relever l’ancre. Après trente-cinq jours sans voir la terre ferme, ils ont soif d’alcool, ils ont soif de sexe, d’amour, de chair. Le tavernier du coin en fait son affaire, entre deux airs de jazz - hey Rufus ! J’te prendrais bien une p’tite frette ! Il faut oublier l’odeur des baleines mortes, mais non pas leurs souffrances. Lorsque j’évoque le souvenir de mon Indienne Ona, Men Nar, « Ombre de sang », je me dis que la Terre est peuplée de gens qui font de la mémoire cette faculté qui oublie le mal que l’on a fait subir à son prochain. Avant que les massacres barbares ne commencent, elle parcourait librement la Terre de Feu, entre vagues de cristal et iceberg, savourant à la nuit tombée un ragoût de bandurria - de l’éléphant de mer. On raconte que dans cet univers teinté de légendes, Men Nar serait fille de guanaco, le lama blanc sauvage symbole de liberté : El Guanaco. Son peuple y était intimement lié avant de disparaître. Avant l’arrivée des fusils, de la barbarie, du mépris et de la haine des hommes. Et vous savez quoi ? Ça me donne envie de vomir de colère : fuck le blizzard ! Le blizzard patagonien des tempêtes de vent et de l’insouciance humaine.
Quand les bateaux quittent vers le large, ils laissent dans leur sillage non seulement un fracas de vagues, mais la mémoire de milliers d’innocents qui se heurte à ne sombrer sur les récifs de l’oubli. Si seulement j’avais pu m’asseoir avec ton bon vieux capitaine, un soir de lune bleue. J’aurais tellement aimé entendre, de sa voix, le cri solitaire des âmes emportées vers le large...
Nos lectures :
« Le Golfe des Peines » - Francisco Coloane (CLICKER)
et
« El Guanaco » - Francisco Coloane
MILES DAVIS, le choix de Rufus (Clicker pour entendre)
Les Escales,
un trip littéraire composé à 4 majeurs
Merci BISON d'avoir fait voyager ce roman jusqu'à chez moi. J'te sers un p'tit Pisco Sour?
Prochaine escale : New York
Lieu : rue Tacuba, México
Lever du soleil : 7h03 - Coucher du soleil : 18h37
Décalage horaire : 1 heure
Météo : 23 degrés Celsius – partiellement couvert – humidex 31%
Latitude : 19.4284700° | Longitude : -99.1276600°
Musique : Tino Contreras
Un Verre au Comptoir : Mezcal, un ver et quelques larves
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« Les paroles d’un poème ne recommencent à être, parfaites ou imparfaites, que lorsqu’elles coulent de nouveau, c’est-à-dire lorsqu’elles sont dites – dichas. Dicha et des-dicha (heur et malheur : bénédiction et malédiction) : le poème que je suis en train de traduire s’intitule El Desdichado, mais l’original français ne contient pas ce fantôme verbal de la langue espagnole, dans laquelle dire consiste non seulement à rompre le silence mais à exorciser le mal. »
Une odeur de soufre, un parfum de chair putréfiée. Je n’ose pas rentrer dans la pièce. J’ai rêvé d’une détonation cette nuit. Il s’est fait sauter le caisson, pressentiment sauvage, le bison de la nuit me l’a murmuré à l’oreille, comme d’autres susurrent à l’oreille des chevaux ou d’une brune dans le coït bestial. Tu n’échapperas pas à cette voix, ni toi, ni moi, le bison rode, et tu vois cette mare de sang, le corps gluant et puant de ton ami gisant sur le lino virant du blanc-poussière au sombre-carmin. Sombre karma que cette nuit.
Une odeur de femme, un parfum de paso doble sous la moiteur des robes. Pedro Infante et le crescendo d’une nuit charnelle dans l’abandon des sens. J’ai rêvé au Mexique des années 30, aux bordels et sa désinvolture, mais aussi à l’envers de son histoire, à toute sa violence, de Pancho Villa à la guerre des Cristeros. Qu’est devenu ce temps ? Un naufrage, une cité abandonnée. Un Bison rode rue Tacuba, un soir de nuit bleue - blue moon - n’ayant pas échappé à ce regard triste dans la vitrine. Elle semble lointaine, solitaire, visage impassible et énigmatique de la femme objet. Muse de chair ou carcasse sans âme ? Le Bison s’en saisit et la ramène chez lui. Dépouillée de ses vêtements, aussi nue que le ver au fond de sa Mezcal, le majeur en émoi. Doux karma que cette nuit.
« La violence de l'histoire du Mexique constitue un grand facteur de nivellement.
Celui qui se trouve un jour à la cime se réveille le lendemain,
si ce n'est dans l'abîme,
en tous cas dans la plaine :
le marais des classes moyennes
dont la majeure partie s'est formée à partir des déchus appauvris d'aristocraties éphémères. »
Chambre 803 d’un motel, un aparté dans cette nuit, réflexion profonde pensée nocturne, le ver était-il plongé vivant dans la bouteille de Mezcal. Une légende urbaine parle également de vers suicidaires. Ou est-ce le bison qui lui a soufflé les derniers instants de la vie d’un ver ? La bouteille à moitié vide en évidence entre les oreillers du lit, draps défaits odeurs de baise taches de sperme, il se réfugie dans les souvenirs. Cette femme, son ami ... et l’amour ... Un trio de possédés, plongés dans la mort et les souvenirs, un tatouage à l’encre bleue d’un bison une seule aiguille, leurs destins sont liés, même dans la mort. Aucun moyen d’échapper la nuit au Bison bleu.
Un appart miteux que partagent deux hommes, à défaut d’un motel room 69 ou d’une quelconque chambre qui dégage des odeurs de poésie et de rêve, d’innocence surtout, de folie peut-être. Plus qu’un aparté dans cette nuit, elle est là, immobile, muette, ensorcelante. Est-ce un mirage ou la Mezcal avec son ver, noyade par ordonnance dans les abysses de l’agave bleue, ou encore dans son flot de larves avoisinantes. J’ai cru l’entendre pousser un soupir, sous la perfection de ses traits. Provocante, vêtue d’un peignoir chinois telle une invitée d’honneur, sans dessous, un fantasme parmi tant d’autres que semblent partager Tonio, Bernardo et le Bison. La Misérable, Vénus callipyge aux fesses rondes ... un quatuor de possédés. Draps défaits et tâches de sperme, mais il n’y aura de cette femme que l’odeur du passé, une robe de mariée à l’ancienne et un voile recouvrant son visage, des souliers de satin. Offerte au regard des passants rue Tacuba. Je m’échappe à son histoire pour rejoindre un Bison sous la nuit bleue et boire une Mezcal au nom de l’amour, celui rêvé, celui des souvenirs ou encore des fantasmes. Blue moon, j'ai le cœur tropical des nuits de tempête.
Le souffle de la tempête fait soulever les détritus d’une terre généreuse en poussiéreuse et en désespoir. Des vies abandonnées de tout espoir qui se résument d’ailleurs à des traces de spermes entre les cuisses de la Vénus callipyge, et à quelques poussières. Poussières d’âme et de gerbe, sous la lune d’un bleu délavé. Mêlées au vent, des trompettes mariachis sonnent, à deux pas de là, la fiesta, à moins que cela ne soit le glas. Car il t’est impossible d’échapper à la mort, à la tristesse, à l’amour déchu, à la fin d’une escale à Mexico. Le bison de la nuit oscillera toujours sur ton corps et te rappellera ton ami mort, un trou de calibre .22 dans la caboche, ça reste toujours moche. Putain de vie. Putain de bison, l’ombre menaçante du bison bleu ...
« La musique du boléro permettait à ces femmes rescapées de la campagne,
exploitées de nouveau par la ville,
d'exprimer leurs sentiments les plus intimes,
vulgaires sans doute mais réprimés. »
Nos lectures :
« Le bison de la nuit » - Guillermo Arriaga (Clicker)
et
« La Desdichada » - Carlos Fuentes
Tino Contreras (CLICKER POUR ENTENDRE), musique des sens sous la nuit bleue
Les Escales,
un trip littéraire composé à 4 majeurs
Merci BISON d'avoir croqué avec moi dans le ver au fond de la Mezcal avant d’humer le parfum de paso doble sous la moiteur des robes. Blue Moon …
Prochaine escale : Patagonie
Lieu : Tarmac de Port-au-Prince, Haïti
Lever du soleil : 6h08 - Coucher du soleil : 17h12
Décalage horaire : aucun
Météo : 31 degrés
Latitude : 18.594395 | Longitude : -72.307433
Musique : Buena Vista Social Club - Chan Chan
Un Verre au Comptoir : Barbancourt
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« D’abord l’odeur. L’odeur du café des Palmes. Le meilleur café au monde, selon ma grand-mère. Da a passé toute sa vie à le boire. J’approche la tasse fumante de mon nez. Toute mon enfance me monte à la tête. Je jette trois goutes par terre pour saluer Da. »
Je débarque sur le tarmac de Port-au-Prince. Je croise un type, dans le genre souriant et avenant. Les dents blanches, fraicheur de vivre. Il respire la bonté, la bienveillance et l'humanité. Tout mon contraire. Je l'avais déjà aperçu bien des années avant à Petit-Goâve, sa terre natale. J’apprends que grand-mère Da est partie pour le « pays sans chapeau », il y a quatre ans - là-bas c’est le ciel, où repose son âme. Au cœur de ses souvenirs, les odeurs de café sont les mêmes. Quelques gouttes de Barbancourt dans sa tasse encore fumante est une réjouissance, jouissance en bouche, touche d’extase. Le café des Palmes est divin. Et la mémoire des sens ineffable, terre sauvage vers laquelle on revient sans cesse. Certes, l’errance est un rêve, elle nous emporte aussi loin de nos racines que les étoiles, mais au jour du réveil, nous savons que le pays d’une seule d’entre elle brillera à jamais d’une lueur unique. Au fil de ses déambulations, l’homme se dit qu’il n’avait pas réalisé à quel point ce « caillou entouré d’eau » lui avait manqué durant ces vingt dernières années, à quel point il avait marché à côté de sa vie.
« Ce n’est pas la même chose dans une autre langue, même si c’est le français, et surtout quand l’accent est différent. On n’est chez soi que dans sa langue maternelle et dans son accent. »
Je débarque sur le tarmac de Port-au-Prince et je croise ce type. Je suis profondément émue... Je voulais lui payer un verre, Sex’ on the Beach sur la plage de cocotiers, le rhum des îles est une escale, Sex’ appeal, coconut beach. En attendant le sourire de la serveuse noire, celle qui plait tant aux touristes avec ses seins pointus comme des ogives nucléaires, il me sert ses souvenirs, de la peur de la bombe atomique à son déracinement en terre blanche, Terre-Neuve, Sex’ on Montreal. Mon esprit redécolle aussi sec, ça le fait marrer, d’un sourire rayonnant il me confie ne pas baiser une blanche à sec. Un vieux haut-parleur crachote une musique.
Des airs de jazz trottent dans sa tête, sa Remington ayant appartenu à Chester Himes sur les genoux, il tape frénétiquement les premières pages de son roman. L’histoire, si basique soit-elle, m’envoûte déjà : deux nègres, très spirituels qui lisent le Coran et les Boddhisattvas, passent leur temps dans une piaule minable, sombre et cafardée du quartier St-Louis, noire et cafardeux de Montréal, à écouter des disques de jazz et à baiser des femmes blanches. Ainsi soit-il, la spiritualité sent le musc sauvage, elle devient sexe. Un écrivain nègre et un bonze noir. Je me suis toujours attaché aux romans spirituels, avec ici cette pointe de déracinement.
« J’écris à ciel ouvert au milieu des arbres, des gens, des cris, des pleurs. »
J’ai bien cru d’ailleurs que j’allais me congeler la graine en atterrissant si au Nord moi qui avais prévu le minimum pour mon escale haïtienne. C’est sans compter sur la canicule de l’été indien ou la chaleur des filles de McGill, elles sont hot celles-là, même l’ivresse du grain de notre nègre ne les effraie pas. Je comprends mieux pourquoi la banquise fond toujours plus, le réchauffement climatique n’est pas un mythe, ni même la grosseur de son engin. Ce n’est pas qu’une question d’un majeur qui titille l’intimité de ces Miz mais celle d’un baobab noir qui pénètre le con d’une blanche et l’asperge de son sperme aussi blanc que nègre.
Autre temps, autre latitude, mais la graine bien au chaud et les majeurs frétillants sous le soleil des Caraïbes. Un détail peu anodin, croyez-moi, car il est impossible de s’imaginer à quel point ce bout de chair, toutes proportions gardées, peut se rendre vulnérable par moins trente. Ceci dit, après vingt ans d’exil, il se remet à peine de ses déboires sexuels avec les bombes de McGill, sans oublier ses soirées méditatives alliant à merveille l’ampleur du baobab à l’immaculé de la neige. Notre type revient ainsi vers ses odeurs de café. Parce que son grain est divin. Parce que sa graine est spirituelle.
« Cette poussière, ces gens, la foule, le créole, les odeurs de friture, les mangues dans les arbres, le ciel bleu infini, les cris interminables, le soleil impitoyable, les femmes… »
Quand je débarque sur le tarmac de Port-au-Prince, je l’aperçois au loin, cet homme fier, dans le genre souriant et avenant. Tu sais, je trouve qu’il te ressemble, en quelque sorte, avec ses bouts de solitude et ses rêves sauvages. Sa vieille Remington ne l’a jamais quitté, ses airs de jazz non plus. Sous un manguier, il tape sur les touches de sa vie avec le sel des souvenirs et l’épice douceâtre de ses réminiscences. Il est venu nous parler d’Haïti. Et moi, affamée de son verbe, je croque dans le fruit mûr de ses mots. Les hommes d’un autre âge n’ont pas la même saveur. J’aime ce goût pimenté qu’ils me laissent en bouche...
D’autres airs de jazz trottent dans sa tête. C’est pour mieux affronter l’armée de zombis. Le dix-neuf septembre 1994, vingt mille soldats de l’armée américaine ont investi le nord d’Haïti. Telles d’autres zombies, les Miz s’investissent dans le lit de l’apprenti-écrivain, des bouteilles de vins se vident, Sonny Rollins remplit l’air fétide de cette piaule maculée de sueur mi-blanche mi-noire. Je crois que celui qui a connu la peur et redouté demain a ses raisons de craindre les bombes atomiques. Le déracinement est une forme de sevrage qui provoque l’effet de manque. Il est doux quand on se sent vulnérable de repenser à l’ami retrouvé. Et de songer à Antoinette, le pays rêvé. Lui se sèvre à la mamelle de ces nanas.
« Je reprends ma vie où je l’ai quittée. Je respire à pleins poumons. Libre dans la nuit port-au-princienne. »
Le parfum de la mangue mûre est resté sur son île. Ces filles de McGill, aussi blanches que du talc, sentent plus le baby powder que la sueur des tropiques. Accrochées au fantasme du plaisir caribéen, elles sont toutes amoureuses de Dany, de Dizzy et de sa trompette. Hé gus tu connais Charlie Mingus. Parker, j’le connais par cœur. Hé fils le dénommé Davis. Les standards de Duke Ellington, Oscar Peterson, Lionel Hampton, Scott Hamilton, je gicle sur son con, ça c’est pour la rime. Je transpire à grosses gouttes, suées aigres qui s’épanchent entre les seins parfumés d’une nana de McGill. J’aime toucher son cœur. Ça craque en moi, comme lorsqu’une branche de goyavier se fissure sous le poids de ses fruits mûrs.
Sur le tarmac j’ai croisé ce type, beau, grand, fier... échange de regards, de sourires. Dans ses yeux, cette étincelle. Je l’ai trouvé nostalgique. De vieux souvenirs sans doute, des parcelles de rêves qui vacillent entre Montréal et Port-au Prince, de Petit-Goâve à McGill. Va-et-vient de son cœur tropical, de son corps animal. Le temps file, un million de gens sont entassés au milieu des détritus, des cadavres d’animaux, de la sueur, de la pisse, des égouts. Au centre de ce ravage, la fleur d’oranger, une caresse du vent et la saveur des épices. Mais avant tout, l’odeur du café. Le bon vieux café des palmes que grand-mère Da aimait tant. De son « Pays sans chapeau », il suffit de fermer les yeux pour entendre l’écho éternel de sa voix.
Un vieux vinyle posé sur la platine crache des airs de jazz. Je me lève, une envie soudaine de danser sous un manguier au clair de lune. D’autres airs, une autre musique. Envoûtée par les notes de Chan Chan, je t’invite à me rejoindre, Buena Vista Social Club baby, un homme rentre au pays, Miz Littérature revient ce soir. Pour faire la vaisselle, pour faire le ménage. Elle aime quand c’est net, c’est qu’elle a le cul aussi propre qu’une bourgeoise, sentir l’immaculé avant ma giclée. Elle me demande ce que je lis au lit. Parce qu’entre nous, il est aussi beaucoup question de littérature. Ma réponse l’éclaire : j’aime quand on me suce quand je lis Bukowski. Elle descend ma fermeture éclair. Avec Miller, j’aime humer la mousse d’une bière. Au tour d’Hemingway et elle me sert un whisky tourbé, odeur de fumée ou de café. Je ne sais pas à quel moment notre conversation a déviée sur Mishima... Mais il ne faut pas être gêné, Mishima nécessite un certain rituel. Comme le seppuku, il a ses codes et ses honneurs. Avec Mishima, la sodomie s’impose. Elle se retourne je pose mon livre sur son derrière, les reins légèrement cambrés, et la pénètre, façon d’honorer son cul, elle garde la tête fière, lisant la prose nippone, ressentant mon sabre la transpercer, de son cul à son âme, la plus belle des littératures.
Mais je sens que mon âme dérive sur les écueils de la vie. Mon récit s’écrase sur ses récifs. Mon escale en terre haïtienne a tourné court, pris dans un tourbillon de chaleur, de sueur et de sperme qui colle les dernières pages de mon livre comme l’auteur qui a fini son roman sur une vieille Remington ayant appartenu à Chester Himes.
Nos lectures :
« Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » - Dany Laferrière
et
« Pays sans chapeau » - Dany Laferrière
Et si on dansait sur
Chan Chan de Buena Vista Social Club (CLICKER POUR ENTENDRE)
Les Escales,
un voyage littéraire composé à 4 majeurs.
Merci BISON d'avoir fait ce voyage haïtien avec moi, entre moiteur caribéenne et érotisme en terre québécoise :-)
Prochaine escale : Mexique