« La vallée de Tucson se trouvait étalée devant nous, nichée dans son berceau de montagnes. La plaine déserte qui nous séparait de la ville s'offrait à nous comme une main à une diseuse de bonne aventure, avec ses buttes et ses mamelons, les lignes de vie et de coeur des lits secs de ses cours d'eau.
Venant du sud, un orage approchait, lentement. Il ressemblait à un immense rideau de douche gris-bleu tiré par la main de Dieu. C'était tout juste si on voyait au travers, si on distinguait les contours des montagnes de l'autre côté. De temps en temps, de blancs rubans de lumière bondissaient nerveusement entre les nuages et les sommets des montagnes. Une brise fraîche se levait derrière nous, parcourant de frissons les troncs des prosopis »
Barbara Kingsolver fait partie de mes écrivaines américaines favorites. Quelle dame! La vie rêvée, une petite ferme isolée dans les Appalaches, loin de l’agitation urbaine. J’aime bien ces femmes déterminées, qui ont du caractère. Militante, elle a longtemps contesté l’engagement américain au Vietnam et milite contre le maccartisme… et pour la liberté des femmes. Elle est pianiste, biologiste, écologiste, activiste écolo et environnementaliste. Son intérêt pour la justice sociale est présent dans chacun de ses romans, où elle s’exprime avec une émouvante simplicité. Oh oui, quelle femme! Une femme qui touche à l’essentiel… Les héroïnes de ses romans sont libres et indépendantes. Elles expriment leur féminité à travers des sentiments complexes. Elles sont attachantes. Rebelles aussi. Et je m’y reconnais…
C'est donc toujours un plaisir d'entamer l’un de ses romans et ces deux-ci furent, une fois de plus, une excellente surprise. Évidemment, il y a cette nature sauvage et aride, le dépaysement. Et ces petits drames de la vie quotidienne. Il y a aussi Taylor, l’héroïne de ses deux romans, qui fuira le Kentucky et roulera vers l’ouest, vers un « nowhere ». Mais attention! Rien de moins qu’à bord de sa vieille Coccinelle, que j’échangerais même, sans hésitation, contre mon Westfalia rose! Sa destination? Qu’importe… sans doute partira-t-elle un peu à la recherche d’elle-même. Et cherchera à fuir une vie bien rangée, de mère au foyer, avec sa traînée de petits.
« Quand j'étais haute comme trois pommes, je partais pêcher au bord des étangs le dimanche, et je ramenais tout un tas de goujons plus maigrichons les uns que les autres et, des fois, une perche grande comme le pouce. À voir maman, on aurait dit que j'avais attrapé le fameux poisson de Shep's Lake, le rêve des vieux chiqueurs de tabac.
"Voilà ma grande fille qui ramène le souper", disait-elle. Et après avoir fait cuire le tout, elle nous le servait rien qu'à nous deux comme un repas de Thanksgiving »
Elle rencontrera Turtle, une petite indienne de trois ans, abandonnée sur la route de l’Oklahoma. À travers elle, elle se retrouvera peu à peu. Cette petite sera l’occasion, pour l’auteure, de parler des populations autochtones Cherokee et des réfugiés guatémaltèques. D’autres femmes s’ajouteront à son parcours, avec qui elle se liera d’amitié. Aussi différentes soient-elles, elles auront un point en commun : elles s’offriront la liberté de vivre, avec leurs rêves et leurs regrets. Et j’en serai touchée… Touchée par cette solidarité et cette entraide. Par leur générosité inconditionnelle. L’arbre aux haricots et sa suite, Les cochons au paradis, est une histoire pleine d’humanité, de douceur et de tendresse. On se sent bien en refermant le livre sur la dernière page. On en ressort avec une soif de simplicité et d’exil… J’aime cette idée de partir vers un nowhere, à la recherche de rien, de rien d’autre qu’une certaine liberté…