J'ai commis l'erreur en lisant ce livre d'en comparer la lecture à "Ru" de Kim Thuy. Le parallèle m'était inévitable étant donné, d'une part, la présentation du livre, mais aussi et surtout, d'autre part, en raison de la nature de leurs enjeux. Dans les deux cas, il s'agit de femmes asiatiques qui ont fui leur pays natal dans l'espoir de renaître sous de nouveaux horizons. Si les femmes de "Ru", dont l'auteure fait partie, ont traversé une mer agitée pour fuir le régime communiste, celles de ce livre ont entrepris le voyage pour rejoindre en Amérique un futur mari dont elles n'avaient vu que la photo. Dans un cas comme dans l'autre, la survie et le destin constituaient le point d'ancrage dominant.
J'ai eu d'autant plus tort de comparer ces lectures qu'aucun auteur ne véhicule ses émotions de la même manière, encore moins qu'il ne nous rejoint en suscitant en nous les mêmes sentiments. Si j'ai été émue aux larmes en lisant "Ru", l'auteure du présent ouvrage n'est pas arrivée à m'atteindre intérieurement. Et pourtant, ces Japonaises dont il est question dans le livre ont vécu le choc de la traversée, l'isolement, l'ostracisme, la désillusion, l'esclavage et la déception de voir leurs enfants renier leurs propres racines, pour ne nommer que ceux-ci.
Pourquoi donc le parcours de vie de ces femmes japonaises, à travers la plume d'Otsuka, n'est-il pas venu m'émouvoir? D'abord, le style y est sans doute pour quelque chose. L'auteure nous offre de longues énumérations, qui ont suscité chez moi une lecture en diagonale, suivies d'un style répétitif qui emprisonne les sentiments sans nous atteindre. L'absence de métaphores, qui donnent généralement vie aux émotions, y a, je crois, aussi contribué. Maintenant, une question délicate se pose. Est-ce que le fait que l'auteure, n'ayant pas comme Kim Thuy vécu le chemin qu'elle nous raconte, serait un facteur d'influence sur la crédibilité du message à véhiculer? Car si Kim Thuy était partie prenante de ce long voyage en tant que boat people, Julie Otsuka, bien que japonaise d'origine née aux États-Unis, n'avait pour émotions à transmettre que l'imaginaire d'une telle épreuve. De la même manière, faut-il être noir pour comprendre le racisme? Pour le comprendre, non, pour le saisir de l'intérieur, sans doute un peu. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas connecté avec les sentiments qu'elle exprime. Il y a toutefois quelques détails historiques intéressants. Détails néanmoins si peu importants qu'ils n'arrivent pas à transformer cette œuvre banale en chef-d'oeuvre…