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24 septembre 2019 2 24 /09 /septembre /2019 20:46

Lieu : Irlande

Lever du soleil : 7h10 | Coucher du soleil : 19h25

Décalage horaire : +5 heures

Météo : 17° C, pluie

Latitude : 53.349805 | Longitude : -6.260310

Musique : I still haven't found what I'm looking for - U2

Un Verre au Comptoir : Murphy's Draught, tablette de préférence 

 

 

 

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« Imaginer que l’on tombe de très haut. Sans affolement. Imaginer que l’on contemple la vue en tombant, pendant que le corps tournoie doucement dans l’air. On n’entend que le son de sa progression. Sa  propre progression. Imaginer que tomber de très haut est une progression. Une chose qui en vaut la peine. Même si ce n’est pas une chose à conseiller. On ne fait rien. On se contente de laisser faire. Imaginer le sol tout à coup, la détente. L’arrêt. »

Bam ! Je claque la porte. Une urgence sérieuse. Je descends en quatrième vitesse, les escaliers en bois craquent sous mon poids. Je m’essouffle, mais c’est le lot de toute urgence dans ce métier. Le ciel est noir, des tonneaux de nuages prêt à déverser ses hectolitres de pluie glacée. Peu importe, de toute façon, la pluie, une vieille habitude dans ces ruelles de Galway qui sentent aussi bon la pisse que la gerbe de Guinness. Mais je ne suis pas là pour jouer les touristes, je l’ai déjà dit, l’urgence urgente, comme lorsque ta vessie est pleine craquer et que devant le seul lampadaire de la rue une mémère fait pisser son clébard fripé. Les néons d’un bar ne prennent même plus la peine de clignoter, usés par le temps et le vent. Je m’engouffre, l’imperméable du privé trempé, le regard triste d’un chien mouillé, dans l’antre sombre. Je jette un regard, genre mauvais, au barman, un dénommé Rufus, qui m’apporte avec toute la nonchalance qui sied à un barman, ma pinte de Guinness tapissée de sa mousse crémeuse, et un shot de Jameson, pour réchauffer mes vieux os, fourbus par le temps, mouillé et séculaire. J’allais être en manque, un irlandais sans sa pinte manquerait cruellement de classe. L’urgence s’efface quand je trempe mes lèvres.

Hurlement du vent, les volets claquent. Claque la porte. La peur s’immisce tel un couteau affûté dans un morceau de chair. Le rythme cardiaque s’accélère, éclatement de verre, une femme se brise. Mille éclats dans la nuit noire. Elle entend ses mots, maux maudits qui déchirent le ciel. Elle reçoit ses coups, coups de poing lâches et méprisants. Une envie de vomir, la bile qui remonte à la surface, reflux de souvenirs haineux. Mauvaise pente. Et c’est l’exil...

Bourrasques de vent, longue route étroite. Grace accélère, à fond la caisse elle ne voit plus que le bout du tunnel, des éclats de lumière dans une vie qui renaît. C’est le choc, une odeur d’Irlande après des jours de pluie. Elle fuie Monaghan, parce qu’il faut fuir, surtout ne pas rester, les souvenirs sont trop lourds, aussi douloureux que l’homme qu’elle a laissé derrière elle, gisant sur le bitume. À défaut de pouvoir se noyer l’âme à la bonne vieille taverne chez Rufus, elle entre dans un pub irlandais, commande une pinte de Murphy Draught – le stock de Guinness ayant souffert du passage d’un Bison. Martin est là, ce fils avec qui elle partage de lourds secrets. Il faut du temps pour se ré apprivoiser et comprendre qu’il n’y aura que ce même temps pour accepter l’idée que les choses ont changées, que l’on a soi-même changé. Que le regard sur la vie n’est plus pareil, ni sur les autres ni même sur soi. Mais que l’ancrage qui résiste aux intempéries est fait de souvenirs communs et d’amour. Il faut du temps pour apprendre à revivre...

Le lieu, sous une pénombre à peine travaillée, devient un bouge de la solitude. Je me sens las, la bière à la main. Une musique au fond. A droite, les toilettes. A une table, le regard perdu, le rimmel coulé, une blonde devant sa bière brune. Le pub en milieu de matinée est le repaire des gens perdus. Pas de chaleur humaine, on y va pour sentir la solitude, celle du pauvre type alcoolique ou celle de la femme battue par son mari. Le rimmel qui coule n’est que le masque des larmes d’une vie. Je m’avance pour m’asseoir à sa table. Ma route dévie au dernier moment vers la porte de sortie. Pas d’humeur à l’accabler de la tristesse d’un type ruisselant de pluie et de dégoût. Les gens tristes ne se mêlent pas aux autres, la tristesse étant une maladie d’une contagion fulgurante. De toute façon, j’ai une autre affaire. Le genre d’affaire qui nécessite de me replonger dans un autre pub, encore plus vieux, encore plus sombre, encore plus triste, le genre à servir de la Guinness sans qu’on ait besoin de demander, parce que le barman connait son métier, ses remèdes contre la mélancolie d’un type comme moi. D’ailleurs, je ne me souviens même plus pourquoi j’ai été engagé. Retrouver un tueur ou une nana, l’assassin d’une nana ou son violeur, ou le mari de cette nana qui la prend pour un punching-ball et à qui je dois lui faire passer un message, du genre coup de batte dans les couilles, si tu me suis… Ou une mère qui pleure le suicide de sa fille qui ne s’est pas noyée « seule ». Sauf que je m’en fous un peu, je traine dans les pubs, toujours plus esseulés. D’ailleurs, je l’ai toujours dit, je ne suis pas Jack Taylor pour ses enquêtes, mais pour ses délires alcoolisés, ses vues solitaires dans les bouges de Galway, ses références littéraires, et surtout ses pintes de Guinness et de Murphy’s Draught qui coulent à flot, comme toute bonne littérature irlandaise.

Face au comptoir, il y a ce grand miroir que je ne peux regarder. Voir cette sombre face qui m’anime est d’un dégoût total. Même si par le truchement de ses reflets, je découvre cette brune, aussi brune que les parfums roux de l’Irlande. Elle est là, assise à la table voisine, l’air hagard, devant sa blonde. Dans la mousse de sa bière, elle voit défiler le temps comme autant de souvenirs douloureux, l’ivresse sans fin d’une âme meurtrie, partant à la recherche de soi-même. L’exil est fait d’embûches. Il faut s’efforcer sans cesse de ne regarder derrière faute de quoi nos pas s’affaiblissent, le rythme décélère et il ne reste plus, au fond du verre, qu’une seule goutte d’espoir. Alors garder le cap. Se dire que ce qui lie une mère à son fils ce sont les souvenirs communs et l’amour. En dépit de son mépris, à lui, de ses rejets, ses colères, ses incompréhensions. Avant tout, pardonner...

Sifflement du vent, mains glacées dans les eaux de l’hiver. Un enfant s’est noyé. Il est injuste de mourir à l’instant même où tes yeux croisent le regard des étoiles. Elles sont pourtant si lumineuses, elles auraient dû t’indiquer le chemin à prendre, ou celui à éviter. Entre collines et falaises, le clapotis de l’eau, les sons, les odeurs et les étés dans le lac. Le hurlement du vent qui fait claquer les volets... 

J’ai fui Monaghan avec Grace et je me suis surprise à emprunter les pas de son histoire. J’ai fui l’amour la vie avec Jack Taylor et je me suis noyé dans l’âme de la Guinness, sombrant dans la poussière de ma putain de vie.

 

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Nos lectures :

 

« Delirium tremens (clicker) » - Ken Bruen

et

« Mauvaise pente » - Keith Ridgway

 

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« I still haven't found what I'm looking for » - U2

 (Clicker pour entendre) 

 

 

Les Escales

Un trip littéraire composé à 4 majeurs

 

Merci BISON (clicker) de m’avoir fait découvrir ce roman aux effluves houblonnées de l'Irlande. Hey Rufus!?

C'est ma tournée!

 

Prochaine escale : Russie

 

 

commentaires

L
L'Irlande, c'est un endroit que j'aimerais beaucoup visiter <3 !!
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N
Je te comprends ! <br /> Merci de ton passage et bonne journée petit Chat
D
Bonjour Nadine, je suis une inconditionnelle de Jack Taylor (j'ai lu toutes les enquêtes) malheureusement l'œuvre de Ken Bruen n'est plus traduite en français depuis 2011. J'ai vérifié qu'il y a encore 5 enquêtes avec Jack Taylor non traduites. Je crois qu'il y a eu un problème avec Gallimard (Série Noire). Bonne fin d'après-midi.
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N
Bonjour Dasola, je n'ai toujours pas lu Ken Bruen mais le Bison m'en a donné envie! Dommage que ses ouvrages ne soient plus traduits... <br /> Bonne journée à toi
A
Mazette ! Quelle ambiance ! On a l'impression d'y être vraiment, plongés jusqu'au cou. Et cette couverture très à propos, haha ! Que ça fait plaisir de te revoir par ici ! J'espère que tu vas bien et que tu profites bien de ce week-end. J'en savoure chaque seconde ! Big smaaacks !
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N
Une longue absence de ma part et tu m'as manquée... <br /> Ohhhhhh le weekend! (non il ne faut pas penser à demain) :D<br /> GROS BECSSSSSSSSSSS xxxx<br />
M
Quel voyage ou quel escale plutôt ! Surtout accompagné par la musique de U2...<br /> <br /> "Il faut du temps pour apprendre à revivre..."<br /> C'est tellement vrai...
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N
U2, groupe irlandais... en plus, le titre de la chanson allait parfaitement dans l'esprit du livre et de la quête de soi :-)<br /> Le temps... il n'y a que le temps...
L
Il y a tant de Guinness à boire dans ces tavernes, que je crois que je pourrais m'y installer, dans cette lande, tourbée et pluvieuse, dans cette Irlande triste et houblonnée...
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N
Nous y sommes restés 9 mois, pfffff... côté durée c'est déjà pas mal... ^^<br /> Merci de ce voyage! Et de ta patience :D

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