
« Je vous écris dans le noir. De l’obscurité dans laquelle mon crime m’avait jetée, bien sûr, mais aussi de celle qui terrorise les enfants, remplie de monstres et de fantômes. Je me demande si l’on écrit autrement que dans le noir, dans cette opacité qui ne révèle ce qu’elle cache qu’au fur et à mesure de l’écriture, comme l’œil finit par s’habituer à l’obscurité et à redessiner les contours des obstacles qui pourraient nous faire trébucher. »
J’ai refermé ce livre bouleversée, émue, me demandant s’il est possible de mourir autant de fois que cette femme, s’il est envisageable de tenir debout, après tant de deuils et de cruauté, s’il est seulement possible d’avoir survécu autant d’années à autant d’horreurs et de mépris de la part des hommes. Jean-Luc Seigle nous écrit dans le noir, ce terrain vague aux limites des obscurités les plus denses, les plus opaques, presqu’impénétrable mais nécessaire pour s’approcher de la vérité, s’il en est une. Il s’est enquis de l’histoire de cette femme, Pauline Dubuisson, à travers des mots qu’il nous adresse à la première personne, comme habité par son mystère.
Nous sommes en 1961. Pauline regarde sur son écran « La vérité » de Clouzot, le film inspiré de sa vie et dans lequel son rôle est incarné par Brigitte Bardot. Brisée par ces images, comme autant de trahisons et de fausses représentations sur son histoire - camouflant les silences de sa vie chargés d’enfance et de rêves, pour n’exposer que des instantanés basés sur des faits dépourvus d’affects – elle s’exile au Maroc pour refaire sa vie, sous une autre identité. Une mort pire encore, si cela est possible, que ses neuf ans d’emprisonnement.
« Je crois qu’on ne peut mourir que d’être désaimée. Et ça, ce n’est pas mourir d’amour, c’est même l’inverse. »
Ce que Clouzot a caché dans les interstices de son film ce sont les brûlures affectives, la guerre - élément déterminant de sa vie - ce sont les viols, la honte, une sexualité exacerbé telle la marque d’un corps qu’elle se découvre et auquel elle cherche à donner vie, un certain pouvoir pour panser la souffrance des jours. Cette femme a été tondue sur la place publique durant la Libération, elle n’avait que 17 ans. Des lames acérées lui ont blessé la peau, à vif, mise à nue, une croix gammée tatouée sur le crâne. Elle vivait entre l’effacement d’une mère dépressive et la vénération d’un père, ancien colonel qu’elle adulait pour sa puissance, sa droiture, ses discrétions. Sa beauté suscitait la jalousie et elle vendit son corps pour nourrir sa famille. Avant tout, Pauline Dubuisson était une femme libre et indépendante, dont les visions féministes en firent en quelque sorte le précurseur d’une génération de femmes qu’elle souhaitait voir s’émanciper. En vain…
À 21 ans, elle fut condamnée à la peine de mort pour un crime passionnel, convaincue qu’elle fut accusée pour bien plus que son crime.
Six mots suffirent à donner un sens à la charge des émotions contenue dans son histoire : « Je vous écris dans le noir ». Jean-Luc Seigle est allé au-delà des faits, de ceux mis de l’avant par Clouzot, pour peindre sa propre « Vérité ». Et elle est impossible désormais à oublier…
« Ce n’est pas l’amour, ni le désir, ni la sexualité qui fait une femme mais sa prodigieuse capacité à affronter et à transformer la vie comme aucun homme ne serait capable de le faire. »
Un immense merci à toi BISON pour ce grand livre... :-*
