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13 avril 2017 4 13 /04 /avril /2017 23:59

 

 

J.M. Coetzee m’a permis d’accompagner Michael K. en marchant sur les pas de son histoire. On le disait simple d’esprit, mais si vous voulez mon avis, il possédait une intelligence hautement supérieure à bien des êtres humains, celle des émotions. Elle l’aura menée à survivre en milieu hostile, égaré en plein cœur d’une zone de combat. Quand il habitait le Cap, en Afrique du Sud, il gagnait sa croûte en effectuant de menus travaux pour les parcs et jardins de son patelin, avant de devenir gardien de nuit aux toilettes publiques de Greenmarket Square. Il était alors confié à l’Institut Huis Norenius pour les hommes que l’on disait de « sa nature ».

 

Accompagné de sa mère mourante, qu’il transportera durant des km à bout de bras dans une charrette capitonnée de coussins et de couvertures, il effectuera une remontée vers le nord du pays jusqu’à sa ville natale, Prince Albert, dans le désert du Karoo. Il devra s’arrêter en chemin pour réchauffer ses mains engourdies. Une longue marche au terme de laquelle sa mère rendra l’âme – je ne dévoile rien, c’est écrit dans la quatrième de couverture. Son seul désir n’avait été de fuir la ville et la cruauté des hommes. Sa démarche fut celle d’une femme résignée à mourir auprès de ses souvenirs, emmêlée aux odeurs de la terre qui l’a vue naître. Si je vous dis que personne en chemin ne s’arrêta pour leur offrir de l’aide, serez-vous vraiment étonnés? Pas moi. Les gens meurent au coin des rues sans qu’aucune âme n’ose même porter le regard vers eux. Où est passée l’entraide? S’il fallait seulement que l’homme soit assez digne pour accepter de se mettre au même niveau que son prochain pour lui tendre la main, que serait le monde devenu…

 

Chemin faisant, il se fera prisonnier dans un camp de travail de Jakkalsdrif d’ il finira par s’échapper. Il aura mangé quelques jours de bouillie froide jusqu’à se demander, fort de son intelligence émotive, s’il ne serait pas là pour apprendre la vie. Il ne pouvait juste pas croire en la lâcheté des hommes. Durant des jours et des jours, il dormira sur un carton dans une ruelle, sous les ponts, au bord de la route, dans un fossé, une grotte, sous les étoiles. S’abreuvera de rosée et mangera des lézards grillés, des sauterelles et des larves de fourmis. C’est ainsi que Michael, mon héros, errera sur la route, affamé et pris de vertiges. Son corps tel un cadavre d’os saillants et de plaies ulcéreuses.

 

Il m’est constamment arrivé, durant ma lecture, d’être ramenée à La route de Cormac McCarthy. Dans un contexte politique et géographique complètement différent, évidemment, mais pour la part de survivance auxquels nos courageux personnages sont confrontés. Dans un cas comme dans l’autre, l’humanité a disparu. Michael vous dirait que l’apocalypse est aussi ce monde dépourvu d’humanité et de sensibilité dans lequel il aura tenté par tous les moyens de survivre. Mais rien n’arrêtera un être humain dans sa quête, aussi solitaire soit-il. Il en faut du courage. À mes yeux, c’est ça être un Homme.

 

Première rencontre avec cet auteur sud-africain. Un jour, je relirai ce roman…

 

« Quel dommage que pour vivre en des temps comme ceux-ci, un homme doive être prêt à vivre comme une bête. Un homme qui veut vivre ne peut pas vivre dans une maison où il y a de la lumière aux fenêtres. Il doit vivre dans un trou et se cacher pendant le jour. Pour vivre, il faut qu’il ne laisse aucune trace de sa vie. Voilà où nous en sommes arrivés. »

 

Pour lire le billet de Eeguab c'est ICI

commentaires

N
Je n'ai pas encore rencontré les mots de cet auteur, l'atmosphère sombre qui semble se dégager de ses livres en est sûrement la cause... mais un jour, je le lire c'est sûr. Bises.
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N
Un très bel auteur sud-africain vers lequel je reviendrai c'est certain. Ses mots sont un combat, ils sont puissants. Bisous
J
Et moi un jour je lirai ce grand écrivain sud-africain !
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N
Je crois que tu aimerais ses luttes et ses engagements. Belle soirée Jérôme! :-*
L
Je n'ai rien lu encore de cet auteur, dont j'ai pourtant au moins un roman dans ma PAL. Tes mots, toujours très forts, m'ont donné envie de l'en sortir.
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N
Un portrait dur de l'Afrique du Sud. Mais l'Afrique tout de même, qui fait battre mon cœur...
A
Avec La route de Cormack Mac Carthy.
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N
C'est un avis très personnel mais pour moi la comparaison est inévitable...
E
Merci Nad et à bientôt.
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N
Bisous Claude, bon weekend
A
De cet auteur, je n'ai lu que Disgrace, et ça remonte un peu mais j'en garde un souvenir d'atmosphère sombre, tendue et désespérante. Ce roman que tu as lu ne me semble pas plus gai mais dis donc, on dirait qu'il porte une sacrée charge émotionnelle et qu'il secoue sec. Tu me donnes bien envie de revenir à l'auteur en tout cas !<br /> Bon weekend (ayé !!), bisous.
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N
L'atmosphère "sombre, tendue et désespérante" on la retrouve ici aussi. On dirait en effet que cet auteur a une âme tourmentée, comme beaucoup d'auteurs d'ailleurs, l'écriture semble être une forme d'exutoire. <br /> Yaouhhhhhhhhh bon weekend à toi! <br /> Bisous
M
Encore un livre qui avait tout pour te plaire !!
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N
En effet, moi quand on me parle de l'Afrique, sous n'importe quelle forme, ça me parle...<br /> Slurp xx
A
Sacrée comparaison.
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N
Laquelle?
L
J'ai lu Coetzee, y'a bien longtemps. J'avais beaucoup aimé, également son écriture et son histoire.<br /> <br /> Très belle chronique, Nad, qui donne envie de [re]découvrir l'auteur et ses voyages dans la poussière sud-africaine.<br /> Beau moment que tu me proposes où avec mon café noir et brûlant, je vais pouvoir méditer sur l'humanité. Mais je ne garantis rien, mes moments de grâce spirituelles vont souvent de paire avec binouzes, single malt ou vodka glacée...
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N
"Le monde est plein de gens qui veulent créer leurs propres vies mais hors du désert, rares sont ceux qui bénéficient d'une telle liberté. Ici, au milieu de nulle part......."
L
Au coeur de ce pays...<br /> <br /> "Mon père gît sur le dos, nu ; sa main droite et la main gauche de sa compagne sont entrelacées. Sa mâchoire est relâchée. Les paupières cachent la foudre des yeux sombres. Un crépitement liquide monte de sa gorge. Le poisson aveugle, cause de tous mes malheurs, repose mollement entre ses jambes. [...] La hache monte au-dessus de mon épaule. Ce geste, nombreux sont ceux qui l’ont accompli avant moi : épouses, fils, amants, héritiers, rivaux. Je ne suis pas seule. Entraînée par son poids, l’arme descend au bout de mon bras comme une boule au bout d’une ficelle, s’enfonce dans cette gorge qui s’offre à moi. Soudain tout est tumulte. La femme se dresse dans le lit, les yeux écarquillés, inondée de sang, affolée par les crachements et les halètements furieux de son compagnon. Il est heureux qu’en de telles circonstances, l’action trouve d’elle-même toute son ampleur, et que l’individu qui l’orchestre n’ait besoin que de présence d’esprit. Pudiquement, elle fait glisser sa chemise de nuit le long de ses hanches. Je me penche et j’agrippe au hasard - je tombe, me semble-t-il, sur un genou. Forte de cette prise, j’enfonce ma hache dans le crâne de la femme. Elle s’abat vers l’avant et bascule sur la gauche, roulée en boule, mon tomahawk tragique plongé dans sa chair. (Qui m’aurait prêté une telle force ?) [...] "
N
Tu avais lu lequel (lesquels?). En tout cas j'ai pensé à toi en lisant celui-ci tant il me faisait penser à "La route" à plusieurs égards. C'est une belle quête bien sombre et spirituelle, j'pense que tu l'aimerais vraiment...<br /> Hummmmmmmm un bon café noir de bon matin.......... ^^
E
Hello Nad. C'est un bouquin que j'ai vraiment aimé. Chroniqué jadis ainsi que L'été de la vie. L'Afrique du Sud recèle quelques auteurs formidables. Bises et à bientôt.
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N
C'est toi qui me l'a fait découvrir, merci! Suite à un billet d'un roman d'André Brink tu m'avais recommandé Coetzee.<br /> Je viens de rajouter ton billet. Bisous et bon weekend
C
Je n'ai pas lu celui-ci mais La Disgrâce qui est une oeuvre extrêmement pessimiste et noire. D'ailleurs après La disgrâce, il a quitté définitivement l'Afrique du Sud.
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N
Pour ma part je n'ai pas lu "La disgrâce", mais je n'ai pas de mal à croire que l'atmosphère est sombre. Intéressant ce que tu racontes sur son exil suite à ce livre...

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