« Zazie, déclare Gabriel en prenant un air majestueux trouvé sans peine dans son répertoire, si ça te plaît de voir vraiment les Invalides et le tombeau véritable du vrai Napoléons, je t’y conduirai.
-Napoléons mon cul, réplique Zazie. Il m’intéresse pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con.
-Qu’est-ce qui t’intéresse alors?
-Le métro. »
C’est par hasard que je suis tombée sur ce roman de Queneau chez un bouquiniste du Mont-Royal, quand j’ai vu le sourire tout en dents de Zazie, j’ai craqué! Je l’ai même acheté sur ce seul motif, sans lire la quatrième de couverture, car j’aime bien parfois l’imprévu et que j’étais convaincue d’au moins passer un bon moment. Et ça a été le cas! D’ailleurs, comment s’ennuyer avec une enfant pareille! ^^
Avec ce sourire de dents, vous ne trouvez pas qu’elle a l’air GRAVEMENT détestable? Et elle l’est! Les enfants je les aime bien un peu rebelles - chez les autres, on s’entend (sourire). Une vraie peste, mais qu’est-ce qu’elle a du chien cette petite – du mordant, du bagou, de l’aplomb - appelez-ça comme vous le voulez - elle ne manque pas de répondant, têtue comme trois, impolie comme quatre, aucune gêne, arrogante à souhait, c’est qu’elle est drôlement mal élevée! Ahhhhhhhhh et elle n’a pas sa langue dans sa poche, complètement futée et e-x-t-r-ê-m-e-m-e-n-t perspicace, quand elle a une idée en tête elle ne lâche pas le morceau, ça je peux vous le dire! Elle pose des questions, beaucoup beaucoup de questions, s’achaaaaaaaaaaaarne. C’est l’oncle Gabriel qui pourrait vous le confirmer. Depuis qu’elle a appris qu’il se travestit et danse en tutu dans une boîte de Pigalle, elle ne cesse de lui demander s’il est « hormosessuel ». Et puis c’est quoi au juste tonton « l’hormosessualité »?
« Tonton Gabriel, dit Zazie paisiblement, tu m’as pas encore espliqué si tu étais un hormosessuel ou pas, primo, et deuzio où t’avais été pêcher toutes les belles choses en langue forestière que tu dégoisais tout à l’heure? Réponds. »
Dur de lui en vouloir, depuis que sa mère a un nouveau copain et passe nuits et jours à s’envoyer en l’air, la petite a pris le bord. Elle est même de trop, alors elle l’a confiée quelques jours à l’oncle Gabriel dixit l’artiste, le danseur de charme. Elle a adoré le voir en spectacle, fière comme tout, mais Zazie n’a qu’une envie, un grand rêve – une obsession plutôt, c’est le moins qu’on puisse dire - prendre le métro! Pas de chance, il est en grève. Ah les salauds… me faire ça à moi…
« -Tonton, qu’elle crie, on prend le métro?
-Non.
-Comment ça, non?
-Bin oui : non. Aujourd’hui, pas moyen. Y a grève.
-Y a grève?
-Bin oui : y a grève.
-Ah les salauds, s’écrie Zazie, ah les vaches. Me faire ça à moi.
-Y a pas qu’à toi qu’ils font ça.
-J’m’en fous. N’empêche que c’est à moi que ça arrive, moi qu’étais si heureuse, si contente et tout de m’aller voiturer dans l’métro. Sacrebleu, merde alors. »
Un matin elle prend la fuite, Zazie veut découvrir la grande ville, les gens de Paris d’ailleurs elle les trouve un peu bizarres, du moins ceux qu’elle rencontre. Tout le monde se mêle des histoires des autres, chacun y met son grain de sel, ils semblent vivre de petits et grands drames, de cœurs brisés, d’espoirs envolés, on s’envoie joliment valser. Les dialogues sont cinglants, faits de conversations « à ciel ouvert », avec n’importe qui, des gens de passage, on discute de tout et de rien, n’importe comment, on se fait la morale et on se donne des leçons. Elle ira raconter à un inconnu que sa mère a fendu le crâne à son père d’un coup de hache. Comme ça, tout bonnement.
Ce roman c’est toute une galerie de personnages amusants, de Mado P'tits Pieds à la veuve Mouaque en passant par le cordonnier, le tavernier, Zazie bien sûr, au cœur de tout ce brouhaha. De l’ironie, du sarcasme, des situations cocasses et beaucoup de démesure. C'est le regard mature et humain d’une enfant sur le monde des adultes.
Il ne me manque plus qu’à voir le film de Louis Malle des années 60 ;-)
« La vie. Un rien l’amène, un rien l’anime, un rien la mine, un rien l’emmène. »