« Dans le ciel, les premières étoiles s’allumaient timidement. Elles fixaient la petite cour de Mamie, tout en bas, un carré d’exil où ma famille s’échangeait des rêves et des espoirs que la vie semblait leur imposer. »
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« Je ne me sens chez moi nulle part, je ne fais que passer. »
Ces quelques mots sont les témoins abruptes des conséquences de l’exil…
Gaël Faye a une dizaine d’années lorsque la guerre éclate au Rwanda - le génocide des Tutsis et la guerre civile le forceront à rejoindre la France. Né d’une mère Rwandaise et d’un père Français, il a passé son enfance au Burundi, à Bujumbura. C’est à travers le regard émouvant d’un enfant de 10 ans qu’il nous livrera son récit. J’ai bu ses mots comme on s’abreuve d’une bouleversante histoire, sans même m’arrêter pour reprendre mon souffle. Et j’ai eu l’impression qu’il l’avait écrit d’un trait de crayon, avec le même élan, l’énergie du survivant…
« Ma vie ressemble à une longue divagation. Tout m’intéresse. Rien ne me passionne. Il me manque le sel des obsessions. Je suis de la race des vautrés. »
La guerre civile éclate au Burundi. L’Union pour le progrès national (UPRONA) et Le Front pour la démocratie du Burundi (FRODEBU) s’affrontent. Melchior, du deuxième camp, est élu. Il sera assassiné par des militaires lors du coup d’État du 21 octobre 73 à Bujumbura. Couvre-feux, coups de feu, obus et mort du président, Gaël Faye témoignera avec courage de ce chaos de massacres et de tueries. Bien que son père ait tenté de le préserver du monde de la politique et de l’imminence de la guerre, il aura connu l’apartheid, la pauvreté, l’exclusion, la notion d’ethnie... Il apprendra qu’il faut se ranger dans un camp ou dans l’autre, les Hutus ou les Tutsis. Que sa situation d’enfant privilégié, dont les mères sont des « putes de blancs », lui vaudra la haine de certains camarades.
Les traumatismes de son enfance émergent du passé en même temps que les souvenirs tendres, les rires, les camarades et Laure, cette jeune Française avec qui il entretenait une relation épistolaire. Ces lettres échangées étaient des mots couchés sur le papier, tel un exutoire, un besoin pressant d’échapper au quotidien. Et que dire du goût des mangues qui adoucissaient le poids des conflits familiaux. L’odeur rassurante des citronniers, ses copains, Gino, Francis et les jumeaux. Les heures de discussions dans la vieille Volkswagen rafistolée, les cigarettes et les frégates construites avec des feuilles de bananiers. L’évasion à travers les livres, les grandes vacances et la joie du retour en classe. Parcelles de bonheur et d’innocence dans ce monde en guerre.
Merci Gaël Faye pour ce récit écrit avec dignité. Si cette démarche a été pour vous une rédemption – ou non… - elle aura été pour moi une leçon de courage. Les liens d’appartenance sont plus forts que tout. « Certaines blessures ne guérissent pas ». Elles donnent de la force à ce que nous sommes au présent...
« Quand on quitte un endroit, on prend le temps de dire au revoir aux gens, aux choses et aux lieux qu’on a aimé. Je n’ai pas quitté le pays, je l’ai fui. J’ai laissé la porte grande ouverte derrière moi et je suis parti, sans me retourner. »
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J’ai été heureuse de lire un extrait de Jacques Roumain dans ce récit, auteur de Gouverneurs de la rosée, le grand poème d’amour que j'avais tant aimé :
« Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes… »
J’ai partagé par hasard cette lecture avec mon amie Nadège. Vous pouvez lire ICI son magnifique billet. Prenez le temps d'écouter la chanson de l'auteur, "Petit pays". Impossible de ne pas être ému(e)...
L'avis d'Alex-mot-à-mots