« On ne peut rien savoir d’un vieillard si on ne va pas à ses yeux, ce sont eux qui détiennent l’histoire de sa vie. »
Trois vieillards épris de liberté, Ted, Charlie et Tom, fuient le monde des vivants et choisissent de s’isoler en forêt. Ils ont chacun une cabane face au lac et vivent de chasse, de pêche, d’ours et de maringouins, mais avant tout, ils vivent dans ce lieu où les jours sont propices à la lenteur et l'errance. Dans ce coin reculé de l’Ontario (profond), la chaleur du poêle à bois suffit à peine pour survivre aux hivers par moins 50. Le confort est minimal mais ils y gagnent le luxe de l’isolement serein.
Leur touchante histoire, romancée mais plausible, s’inscrit dans le contexte historique des Grands Feux qui ont ravagé le nord de l’Ontario au début des années 1900 - Matheson, Timmins, Cochrane, Haileybury… - une tragédie apocalyptique à jamais ancrée dans la mémoire collective des survivants. Aux trois hommes viendra s’ajouter Marie-Desneige, 82 ans, la petite jeunesse du groupe. Minuscule bout de femme, en cavale avec de faux papiers, qui aura passé soixante-six ans de sa vie dans un institut psychiatrique en banlieue de Toronto. Presque cent ans plus tard, une photographe débarque sur les lieux dans le but de recueillir le récit des quelques survivants, s’il en reste, ou de leurs témoins. Elle s’accrochera avec émotions à ces vies racontées. Celle de Ted, l’enfant de quatorze ans qui a marché durant des jours dans les décombres fumants, ses parents, frères et sœurs morts asphyxiés dans un caveau à légumes. Du ciel, ce jour-là, il pleuvait des oiseaux…
Magnifique roman sur le courage, autant celui de choisir sa vie que de se reconstruire. Sur les traces du passé qui hantent le présent de souvenirs imprégnés dans la chair. C’est un roman qui défie les âges, un amour naissant et des caresses pour deux vieilles personnes attachantes qui ont choisi de vivre avant de mourir - faire l’amour pas la guerre. L’histoire n’est pas dépourvue de cet humour noir dont Tom et Charlie usent avec délice. Entre deux cabanes poussent des plants de marijuana, c’est tout dire. Le portrait des soins psychiatriques du début du siècle dernier, où on incarcérait à peu près n’importe qui pour n’importe quoi est bien représenté. L’histoire de Marie Desneige me rappelle celle de Camille Claudel… C’est un roman sur la vieillesse, l’appréhension de la mort et le suicide. De vies pleinement vécues jusqu’au dernier souffle.
Depuis sa sortie en 2011 que j’ai envie de lire ce roman que tout le monde sauf moi semblait déjà avoir lu au Québec ! Une histoire que je ne suis pas prête d’oublier…
« J’aime les histoires, j’aime qu’on me raconte une vie depuis ses débuts, toutes les circonvolutions et tous les soubresauts dans les profondeurs du temps qui font qu’une personne se retrouve soixante ans, quatre-vingt ans plus tard avec ce regard, ces mains, cette façon de vous dire que la vie a été bonne ou mauvaise. »
L'avis de Didi