Les dix enfants que madame Ming n'a jamais eus (3) - Éric-Emmanuel Schmitt (Le Cycle de l'invisible)
« La vérité m’a toujours fait regretter l’incertitude. »
Madame Ming s’occupe des latrines masculines du Grand Hôtel de Guangdong, dans le sud de la Chine. Étrange personnage de bonté et de dévouement, elle voit chaque jour défiler ces hommes dans l’urgence d’un soulagement aussi bref que nécessaire. C’est alors qu’elle rencontre le narrateur – dont le prénom n’est pas cité – et qu’une belle relation de confiance et de partage s’établit entre eux. Il travaille à l’étage supérieur à multiplier les contrats commerciaux avec la Chine et profite de chaque occasion, même de celles qui ne lui sont pas accordées, pour poursuivre ses bavardement avec dame pipi, cette femme pleine de sincérité et de douceur…
« Madame Ming incarnait la permanence dans un monde versatile. »
Elle lui raconte ses dix enfants, Li Mei, ses jumeaux Kun et Kong et tous les autres. DIX! Mais Madame Ming, comment est-ce possible d’en avoir dix alors que l’État chinois interdit aux couples d’avoir plus d’un enfant??! Au départ, il subit ses affabulations, puis éprouve de la sympathie pour elle. Une amitié se développe sous le couvert des confidences, dans ce milieu parfumé aux boules à mites à l’odeur de cèdre, et qui au départ n’avait rien on s’entend d’un lieu où s’attarder dans l’épanchement de sentiments. Rien que pour ce contraste délirant j’ai eu envie de remercier l’auteur, il m’a fait vraiment rire! :D Cette p’tite parenthèse mise à part, il réalise son besoin de fantaisie, d’illusions. Celui de s’évader dans un monde factice où la réalité se confond avec le rêve et l’urgence de vivre. Il en arrive à comprendre que le bonheur est plus fort que la recherche de vérité.
« À travers ces broderies où s’épanouissait son imagination, je sentais sa carence, sa nostalgie de transmettre, son aspiration à aimer. »
Toujours dans la poursuite de mes lectures du « Cycle de l’invisible », qui accorde à chacune de ses six nouvelles le plaisir de nous faire découvrir une religion ou une quelconque forme de spiritualité, Éric-Emmanuel Schmitt nous parle ici des entretiens de Confucius sur l’amour familial et le sens du respect. Ces quelques pages de douceur et d’amour nous amènent à nous questionner sur la vérité. Mais surtout sur la réalité à laquelle il ne faut pas s’attarder au détriment du rêve. Le bonheur est dans l’équilibre fragile des choses qui nous entourent.
Qui ne voudrait pas d’une Madame Ming dans sa vie? Je me suis profondément attachée au personnage qu’elle incarne avec tant de tendresse et d’humanité...
« De la Chine de Mao, madame Ming conservait l’égalitarisme ; de celle de Confucius, elle perpétuait l’humanisme. »